Poèmes  -  Edgar Poe
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  1. O Tempora! O Mores!
  2. Tamerlan
  3. Chanson
  4. Rêves
  5. Esprits des morts
  6. Etoile du soir
  7. Imitation
  8. Stances
  9. Un rêve
  10. Stances
  11. Le Lac
  12. Sonnet à la science
  13. Al Aaraaf
  14. La Romance
  15. A ...
  16. A ...
  17. A la rivière
  18. ***
  19. Féerie
  1. Seul
  2. Elizabeth
  3. Acrostiche
  4. Joe Locke
  5. Stances à Hélène
  6. Israfel
  7. La Cité en la mer
  8. La Dormeuse
  9. Lénore
  10. La Vallée de l'inquiétude
  11. Sérénade
  12. A ...
  13. Fanny
  14. Le Colisée
  15. A Quelqu'un au paradis
  16. Hymne
  17. A F.
  18. À F.-S.O.
  19. Ballade de noces
  1. A Zante
  2. Le Palais hanté
  3. Silence
  4. Le Ver vainqueur
  5. Terre de songe
  6. Le Corbeau
  7. Eulalie
  8. Pour la Saint-Valentin
  9. A M.L.S.
  10. Ulalume
  11. Enigme
  12. A M.L.S.
  13. Les Cloches
  14. A Hélène
  15. Un rêve dans un rêve
  16. Eldorado
  17. Pour Annie
  18. A ma mère
  19. Annabel Lee

           Ô Tempora! Ô Mores!

Ô Temps ! Ô Moeurs! selon mon opinion
Votre empire évolue de bien triste façon.
J'entends que le règne des bonnes manières est depuis longtemps achevé,
Mauvaises manières ou pas de manières du tout, voilà ce qui reste à l'homme.
Et, pour parler des temps, quoiqu'on dise souvent
Qu'il n'était rien de pire que le " bon vieux temps "
(Saine doctrine à laquelle je souscris dans les moindres détails),
Je juge cependant ce siècle pire encore.

J'ai réfléchi - est-ce là l'expression?
J'aime vos mots yankee et voe façons yankee.
J'ai réfléchi, pour savoir s'il vaut mieux
Prendre tout au sérieux ou tout à la légère.
Si, avec le sombre Héraclite de jadis,
Il faut pleurer à s'en meurtrir les yeux,
Ou bien rire avec Démocrite de Thrace.
Etrange philosophe, qui tournait prestement
Les pages de la vie, et riait de les voir cornées,
Comme pour dire  " Et après! Qui diable s'en soucie ? "

Voilà, Ô Cieux, une question propre à arracher
La malheureuse requête aux griffes du législateur !
Au lieu de deux visages, Job en a huit ou presque,
Chacun pouvant fournir quatre heures de débats.
Que faire alors? Je vais mettre le problème sur la table,
Quitte à l'examiner quand mon talent sera plus grand ;
Pour l'instant, évitant tout ennui, je refuse le choix,
Le rire de celui-ci, les pleurs de celui-là.
Je m'abstiens de flatter ou de calomnier
Et, donnant à chacun une main, je ne fais que grogner.
Ah ! grogner, dites-vous, mon ami ; et pourquoi, s'il vous plaît?

Eh bien ! pour tout dire, Monsieur, j'avais presque oublié.
Mais, pardieu, Monsieur, il me paraît honteux
De voir, chaque jour, nous toiser sans vergogne,
Parader dans la rue avec force courbettes,
Ceux qui, se voulant hommes, sont émules du singe.
Je te prierai, Lecteur, d'excuser le juron
Que ces singes m'arrachent à mon corps défendant;
J'ai quelque tendance à relâcher mon style,
Mais, je t'en prie, sois patient; dans le moment qui vient
Je serai différent ; en bon politicien,
Je décide d'amender mon rythme et mes manières.
De toutes les cités - combien n'en vis-je pas ?
Car je suis voyageur, ami, autant que toi -
Je n'en pourrais trouver, sur mon âme, une seule,
Mais j'étends l'idée au groupe tout entier
(Logique électorale qui se donne comme un tout,
Craignant dans le détail de succomber aux failles),
Une seule qui convienne aussi bien que celle-ci et soit mieux adaptée
Aux allègres desseins d'un calicot propret ;
Ici, il peut, sans crainte aucune, s'en donner à coeur joie,
Heureux et frétillant comme un poisson dans l'eau,
Secouer ses jolies boucles qui cachent un front charmant ;
Tel Vestris s'élevant au-dessus d'un comptoir
Parachever le soir l'entreprise du matin
Et retrouver ses dupes pour les faire danser ;
Car, au bal, quelle belle saurait donc échapper
A la jolie menotte qui lui vendit sa dentelle ?
Quelle belle assez froide, insensible, pour refuser
Celui qui, d'un ruban, a paré son soulier ?
Dieu me garde ! mon sort fut de connaître,
De vue, du moins, car je suis de nature timide
Et m'efforce toujours de ne point rire quand je le puis,
Un garçon de cette eau - le beau par excellence.
Mais parlez-lui un peu, et ses grimaces seront telles
Que visage humain, Seigneur, peut-il rester sérieux ?
Le coeur de toutes ces dames ne bat que pour lui,
Leurs yeux brillants s'attachen à son Tom and Jerry
Et à sa queue-de-pie, obtenus à grands frais ;
Leur regard, cependant, ne dévierait jamais
Vers l'homme véritable qui par là passerait.

Sa voix procure les délices de la musique,
Une fois vue, sa personne ne saurait s'estomper ;
Bref, son faux col, sa tournure, son style sont
Le " beau idéal " que l'on prête à Adonis.

Souvent les philosophes ont disputé
Du siège de la pensée chez l'homme et l'animal ;
Que la faculté de la pensée réside cher ce dernier,
Mon ami, le Beau est là pour l'attester.
En dépit de ces dogmes qui, de tous temps, abondent,
Un fait bien établi vaut mieux que douze sages.

Car, pour penser, il pense ! mais bien souvent j'hésite
Quant à l'objet précis de ladite pensée.
Mais oui ! son pied mignon et sa fine cheville
Sont, chez lui, le siège de la raison ;
Un docte philosophe remue toujours la tête,
Mais lui, bien entendu, c'est le pied qu'il remue.
Et de ce pied vengeur serai-je menacé
(Autre preuve qu'il pense ou je me trompe fort)
Parce qu'à son oeil de chat je présente un miroir
Qui renvoie son image, celle d'un âne bâté?
Je pense qu'il comprendra qu'il s'agit bien de lui.
Le sot refuserait-il qu'il serait détrompé
Car, pour lui éviter les convulsions du doute,
A la fin du portrait je lâche le nom de " Pitts ".

           Tamerlan

Consolation bienfaisante de l'heure de l'agonie !
Tel, mon père, n'est pas (maintenant) mon thème.
Je n'aurai pas la folie de croire qu'aucune puissance
Sur la terre puisse m'absoudre du péché
Où s'est complu un orgueil qui n'est pas de la terre.
Je n'ai pas le temps de divaguer ou de rêver :
Tu l'appelles l'espoir - ce feu du feu !
Ce n'est que le tourment du désir :
Si je puis espérer - oh, Dieu ! oui, je le puis -
La source de mon espoir est plus sainte, plus divine.
Je ne voudrais pas te traiter de sot, vieillard,
Mais l'espoir n'est pas don que tu puisses accorder.

Apprends le secret d'un esprit
Dont l'orgueil effréné fut brisé jusqu'à la honte.
Oh, coeur plein de désirs ! Avec la renommée
J'ai hérité de tout ce qui flétrit en toi
Avec la gloire qui dessèche le coeur et qui étincelait, jadis,
Parmi les Joyaux de mon trône,
Halo de l'Enfer ! avec une douleur
Que l'Enfer lui-même ne me fera redouter à nouveau.
Oh, coeur plein d'espoirs, espoirs de fleurs perdues
Et du soleil de mes heures d'été !
La voix immortelle de ce temps qui est mort,
Avec son carillon interminable,
Résonne, comme l'essence d'un charme
Sur ton néant - telle un glas.

Je n'ai pas toujours été comme aujourd'hui :
Le diadème enfiévré que je porte au front,
C'est par l'usurpation que je l'ai obtenu.
N'est-ce point un même farouche héritage
Qui a donné Rome à César et tout ceci à moi ?
Le legs d'une âme royale
Et d'un esprit orgueilleux qui a lutté
Victorieusement avec la race humaine.

D'abord je puisai vie au sol de la montagne :
Les brumes du Taglay ont répandu,
Leurs rosées nocturnes sur ma tête,
Et, je le crois, les turbulences du ciel
Et le tumulte des vents impétueux
Se sont nichés au sein même de ma chevelure.

Longtemps, du Ciel, cette rosée tomba
(Parmi les rêves d'une nuit impie)
Sur moi, comme une caresse de l'Enfer,
Tandis que l'éclat rouge de la lumière,
Qui jaillissait de nuages, suspendus, comme des bannières, là-haut
Parut représenter à mon oeil mi-clos
Les solennités de la monarchie,
Et la voix profonde du tonnerre éclata comme cuivres
Et me submergea, me parlant
De guerres d'hommes où ma voix,
Ma propre voix, pauvre enfant! s'enflait pour jeter
(O! comme mon âme exaltée
Bondissait en moi à ce cri)
Le cri de guerre de la Victoire !

La pluie s'abattait sur ma tête
Découverte, et le grand vent
Me rendait fou et sourd et aveugle.
Ce n'était que l'homme, pensais-je, qui faisait pleuvoir
Des lauriers sur moi : et la tourmente,
Le torrent de l'air glacial
Murmuraient à mon oreille l'écroulement
D'empires, et la prière du captif,
Et le bourdonnement d'une cour. et les voix
De la flatterie autour du trône d'un souverain.

Mes passions, depuis cette heure maudite,
Ont usurpé une tyrannie que les hommes,
Depuis mon accession au pouvoir, ont jugée
Etre ma nature intime. Qu'il en soit ainsi :
Mais, mon père, il était un être, alors
Oui, alors - dans mon enfance - au temps où le feu des passions
Brûlait avec un éclat plus intense encore
(Car la passion s'éteint, toujours, avec la jeunesse)
Un être qui, alors même, savait que ce coeur de fer
N'était pas étranger aux faiblesses de la femme.

Je n'ai pas de mots hélas ! pour dire
Les enchantements de bien aimer !
Je ne veux pas tenter non plus de peindre aujourd'hui
La beauté, supérieure à la beauté, d'un visage
Dont les traits sont, sur mon esprit,
Ombres sur le vent instable :
Ainsi je me souviens m'être penché sur quelque page de savoir ancien,
D'un oeil distrait, jusqu'à sentir
Les lettres, avec leur sens, se résoudre
En fantaisies insensées.

Oh elle était digne de tout amour !
L'amour, tel que dans mon enfance je le connus,
Etait de ceux que l'esprit des anges là-haut
Peut envier ; son coeur d'enfant était l'autel
Où chacun de mes espoirs, chacune de mes pensées,
Déposaient un encens - fastes alors étaient ces dons,
Car c'étaient des dons de l'enfant et de la loyauté,
Purs omme l'enseignait son jeune exemple :
Pourquoi l'ai-je abandonné, et pourquoi, dévoyé,
Ai-je attendu la lumière, du feu qui brûlait en moi ?

Nous grandîmes ensemble en âge et en amour,
Errant par la forêt et les déserts ;
Ma poitrine était son refuge, aux rigueurs de rhiver
Et quand le soleil ami dispensait son sourire,
Quand elle observait les cieux qui s'entrouvraient.
Je ne voyais, moi, d'autres cieux qu'en ses yeux.
La première leçon de l'amour juvénile est - le coeur :
Car, au milieu de ce soleil et de ces sourires,
Quand, détaché de nos menus soucis,
Bt riant de ses ruses de petite fille,
Je me jetais sur sa poitrine palpitante
Et épanchais mon àme dans les larmes,
Il n'était pas besoin d'en dire davantage,
Pas besoin d'apaiser aucune crainte
Chez dit, qui ne s'inquiétait jamais de la raison de ces larmes
Mais tournait sur moi un regard tranquille!

Elle était plus que digne, pourtant, de l'amour
Contre lequel mon esprit luttait, combattait,
Quand, seul sur le pic montagneux,
L'ambition lui prêta un ton nouveau.
Je n'avais d'autre existence qu'en toi
Le monde et tout ce qu'il contenait
Sur la terre, dans les airs et dans la mer,
Sa joie - la parcelle de douleur
Qui était un plaisir nouveau - la vanité
Indistincte, idéale, des rêves de la nuit
Et des néants plus indistincts qui étaient le réel
(Ombres et lumière plus ombreuse encore!)
Tout s'envola sur leurs ailes embrumées
Et tout, confusément, se fit
Image de toi et - un nom - un nom!
Deux choses séparées et pourtant unies par le plus intime des liens.

J'étais ambitieux - as-tu connu
Cette passion-là, mon père? Non :
Né dans une chaumière, je choisis, pour moi seul,
Un trône souverain sur la moitié du monde,
Et murmurai pourtant contre un destin si humble
Mais, comme tout autre rêve.
Avec l'exhalaison de la rosée,
Le mien se serait évanoui, si le rayon
De la beauté qui l'animait
Chaque minute, chaque heure, chaque jour, n'avait fait peser
Sur mon esprit un chame double.

Nous marchions ensemble sur le faîte
D'une haute montagne qui,
De ses orgueilleuses tours naturelles
De rocs et de forêts, dominait les collines;
Collines diminuées! ceintes de bosquets
Et mugissantes de leurs mille ruisseaux.

Je lui parlais de puissance et d'orgueil,
Mais à mots couverts - de telle sorte
Qu'elle n'y pût voir autre chose
Que les propos du moment; dans ses yeux

Bt riant de ses ruses de petite fille,
Je me jetais sur sa poitrine palpitante
Et épanchais mon àme dans les larmes,
Il n'était pas besoin d'en dire davantage,
Pas besoin d'apaiser aucune crainte
Chez dit, qui ne s'inquiétait jamais de la raison de ces larmes
Mais tournait sur moi un regard tranquille!

Elle était plus que digne, pourtant, de l'amour
Contre lequel mon esprit luttait, combattait,
Quand, seul sur le pic montagneux,
L'ambition lui prêta un ton nouveau.
Je n'avais d'autre existence qu'en toi
Le monde et tout ce qu'il contenait
Sur la terre, dans les airs et dans la mer,
Sa joie - la parcelle de douleur
Qui était un plaisir nouveau - la vanité
Indistincte, idéale, des rêves de la nuit
Et des néants plus indistincts qui étaient le réel
(Ombres et lumière plus ombreuse encore!)
Tout s'envola sur leurs ailes embrumées
Et tout, confusément, se fit
Image de toi et - un nom - un nom!
Deux choses séparées et pourtant unies par le plus intime des liens.

J'étais ambitieux - as-tu connu
Cette passion-là, mon père? Non :
Né dans une chaumière, je choisis, pour moi seul,
Un trône souverain sur la moitié du monde,
Et murmurai pourtant contre un destin si humble
Mais, comme tout autre rêve.
Avec l'exhalaison de la rosée,
Le mien se serait évanoui, si le rayon
De la beauté qui l'animait
Chaque minute, chaque heure, chaque jour, n'avait fait peser
Sur mon esprit un chame double.

Nous naarchions ensemble sur le faîte
D'une haute montagne qui,
De ses orgueilleuses tours naturelles
De rocs et de forêts, dominait les collines;
Collines diminuées! ceintes de bosquets
Et mugissantes de leurs mille ruisseaux.

Je lui parlais de puissance et d'orgueil,
Mais à mots couverts - de telle sorte
Qu'elle n'y pût voir autre choee
Que les propos du moment; dans ses yeux

Bt riant de ses ruses de petite fille,
Je me jetais sur sa poitrine palpitante
Et épanchais mon àme dans les larmes,
Il n'était pas besoin d'en dire davantage,
Pas besoin d'apaiser aucune crainte
Chez dit, qui ne s'inquiétait jamais de la raison de ces larmes
Mais tournait sur moi un regard tranquille!

Elle était plus que digne, pourtant, de l'amour
Contre lequel mon esprit luttait, combattait,
Quand, seul sur le pic montagneux,
L'ambition lui prêta un ton nouveau.
Je n'avais d'autre existence qu'en toi
Le monde et tout ce qu'il contenait
Sur la terre, dans les airs et dans la mer,
Sa joie - la parcelle de douleur
Qui était un plaisir nouveau - la vanité
Indistincte, idéale, des rêves de la nuit
Et des néants plus indistincts qui étaient le réel
(Ombres et lumière plus ombreuse encore!)
Tout s'envola sur leurs ailes embrumées
Et tout, confusément, se fit
Image de toi et - un nom - un nom!
Deux choses séparées et pourtant unies par le plus intime des liens.

J'étais ambitieux - as-tu connu
Cette passion-là, mon père? Non :
Né dans une chaumière, je choisis, pour moi seul,
Un trône souverain sur la moitié du monde,
Et murmurai pourtant contre un destin si humble
Mais, comme tout autre rêve.
Avec l'exhalaison de la rosée,
Le mien se serait évanoui, si le rayon
De la beauté qui l'animait
Chaque minute, chaque heure, chaque jour, n'avait fait peser
Sur mon esprit un chame double.

Nous naarchions ensemble sur le faîte
D'une haute montagne qui,
De ses orgueilleuses tours naturelles
De rocs et de forêts, dominait les collines;
Collines diminuées! ceintes de bosquets
Et mugissantes de leurs mille ruisseaux.

Je lui parlais de puissance et d'orgueil,
Mais à mots couverts - de telle sorte
Qu'elle n'y pût voir autre choee
Que les propos du moment; dans ses yeux
Je lisais, trop étourdiment sans doute,
Un sentiment qui répondait au mien ;
L'éclat de sa joue vermeille me semblait
Convenir à un trône de reine,
Y convenir trop bien pour que je permette
Qu'au désert seul brille cette lumière.

Alors je me drapai de grandeur
Et ceignis une couronne imaginaire.
Ce n'était pas pourtant que la chimère
Eût jeté son manteau sur moi.
Mais si dans la tourbe des hommes,
Le lion ambition est enchaîné
Et s'accroupit au signe de son gardien,
Dans les déserts, le grandiose,
Le farouche, le terrible conspirent
A attiser son feu avec leur souffle.

Regarde autour de toi, regarde Samarcande!
N'est-elle point reine de la Terre? Son orgueil
Au-dessus de toutes les cités? Et, dans sa main,
Leurs destinées? Et parmi tout
Ce que le monde a connu de gloire,
Ne se dresse-t-elle point, noble et solitaire?
Qu'elle vienne à choir, et la plus humble de ses marches
Sera le piédestal d'un trône.
Et qui en est le souverain? Timour - Timour
Que les peuples abasourdis virent,
Plein de superbe, enjamber les empires,
Paria au front couronné!

Ô amour humain! toi, esprit donné, sur la Terre,
De tout ce que nous espérons au ciel!
Qui pénètres l'âme, comme la pluie
Pénètre la plaine desséchée par le Sirocco,
Toi qui, lorsque faillit ton pouvoir salvateur,
Laisses en friche le désert du coeur!
Idée! qui enveloppes la vie
D'une musique au son si étrange
Et d'une beauté de si folle origine
Adieu! car j'ai conquis la Terre.

Quand l'espoir, aigle en son essor, ne vit
Nulle falaise au ciel le dominant,
Il laissa retomber ses ailes avec langueur,
Et vers son aire, il tourna un regard adouci.
C'était au coucher du soleil : quand le soleil s'en va,
Une tristesse vient au coeur
De qui voudrait encore contempler
La splendeur du soleil d'été.
Cette âme haïra toujours la brume du soir,
Si souvent charmante, et prêtera l'oreille
Au son des ténèbres qui montent (connu
De ceux-là seuls dont l'âme est attentive), comme
Celui qui, dans un rêve nocturne, voudrait fuir
Un danger proche et ne le peut.

Même quand la lune, la lune blanche,
Répand toute la splendeur de son zénith,
Son sourire demeure gacial, et son rayon,
En ce morne moment, ressemble toujours
(St exactement que l'on retient son souffle)
A un portrait peint après la mort.
Et l'enfance est un soleil d'été
Dont nul autre déclin n'égale la tristesse,
Car tout le savoir pour lequel nous vivons est su,
Et tout ce que nous tentons de garder s'est enfui.
Que la vie, donc, comme l'éphémère commélyne s'étiole
Avec la beauté du midi  - qui est tout.

Je parvins à ma maison, qui n'était plus ma maison;
Car tous ceux qui justifiaient ce nom s'étaient enfuis.
le sortis, franchissant sa porte moussue
Et, quoique mon pas fit léger et silencieux,
Une voix monta du seuil de pierre,
La voix de quelqu'un que j'avais connu autrefois.
Oh ! je te défie, enfer, de montrer
Sur des lits de feu qui s'embrasent, dans les profondeurs,
Un coeur plus humble - une douleur plus profonde.

Mon père, je croîs fermement,
Je sais; car la mort qui vient pour moi
Des régions lointaines où vivent les bienheureux,
Où rien n'a le pouvoir d'égarer,
A laissé entrouvert son portail de fer,
Et des rayons de vérité que tu ne peux pas voir
Trouent l'Éternité,
Je crois vraiment qu'Eblis a tendu
Un piège sur la route de tout homme,
Sinon comment, alors que j'errais au bois sacré
De l'idole, Amour,
Amour qui chaque jour parfume ses ailes de neige
Avec l'encens d'offrandes consumées,
Holocauste d'objets les plus intacts de souillure,
Amour dont les bosquets enchanteurs ont le dôme si bien criblé
Par les rayons treillissés des cieux
Que nul atome - nul imperceptible insecte - ne peut échapper
A l'élair de son oeil d'aigle,
Comment se fait-il que l'ambition ait pu se glisser,
Secrètement, au sein de ces ivresses
Jusqu'à ce qu'enhardie, elle rie et s'ébatte
Dans les cbeveux  bouclés d'Amour lui-même?

                      Chanson

Je te vis le jour de tes noces, quand te vint une brillante rougeur,
quoique autour de toi fût le bonheur, le monde tout amour devant toi.

Et dans ton oeil une lumière embrasante (quelle qu'elle pût être) fut
tout ce que sur Terre ma vue douloureuse, eut à voir de Charme.

Cette rougeur, peut-être, était-ce virginale honte (pour telle elle peut
bien passer), bien que son éclat ait soulevé une plus fougueuse flamme
dans le sein de celui, hélas!

Qui te vit ce jour de noces, quand cette profonde rougeur te voulut
venir, quoique le bonheur fût autour de toi, le monde tout amour devant toi.

           Rêves

Oh! que ma jeune vie fût un rêve qui dure!
Mon esprit ne s'éveillant que sous le rayon
D'une Éternité apportant le lendemain.
Oui! quand même ce long rêve serait de douleur sans espoir,
Cela vaudrait mieux que la froide réalité
De la vie éveillée, pour celui dont le coeur doit être,
Et a toujours été, sur la terre charmante,
Un chaos de passions profondes, dès sa naissance.
Mais s'il devait être - ce rêve éternellement
Continué - ce que les rêves ont é'té pour moi
Dans ma jeunesse; s'il devait m'être ainsi donné,

Ce serait folie d'espérer encore un ciel plus haut.
Car je me suis gorgé, quand le soleil brillait
Au ciel d'été, de rêves de lumière
Et de charmes vivants ; j'ai laissé mon coeur même
Dans des régions par moi imaginées, loin
De mon propre foyer, avec des êtres modelés
Par ma propre pensée - quoi d'autre eusse-je pu voir?
Une fois, une fois seulement - mais jamais l'heure éperdue
De ma mémoire ne s'effacera - quelque puissance,
Quelque charme, m'avait enchaîné; c'était le vent glacé
Qui était venu sur moi dans la nuit pour laisser, derrière lui,
Son image sur mon esprit - ou la lune
Qui brillait sur mon sommeil à son plus haut zénith,
Trop froidement - ou les étoiles. Quoi qu'il en fût,
Ce rêve était semblable à ce vent de la nuit. Qu'il passe.

J'ai été heureux, quoique dans un rêve.
J'ai été heureux - et ce sujet me plaît.
Rêves ! dans leur coloration éclatante de la vie
Comme dans cette lutte fugitive, ombreuse, brumeuse,
Des apparences avec la réalité, qui apporte
A l'oeil en délire, des choses plus charmantes
Du paradis et de l'Amour - et qui sont bien à nous!
Que le jeune Espoir n'en a connu aux heures les plus ensoleillées.

   Esprits des morts

Ton âme se trouvera seule,
Parmi les sombres pensées de la grise pierre tombale.
Personne, dans toute la foule, pour t'épier
A ton heure de secret :

      II

Garde le silence en cette solitude,
Qui n'est pas l'abandon, car alors
Les esprits des morts qui étaient
Avec toi de leur vivant sont à nouveau,
Dans la mort, autour de toi, et leur volonté
Va te couvrir de son ombre : ne bouge pas.

      III

La nuit, claire pourtant, se rembrunira.
Et, de leur suprême trône céleste,
Les étoiles n'abaisseront plus sur nous
Leurs regards pleins de lumière - espérance donnée aux mortels -
Mais leurs globes rougeoyants, sans un rayon,
Paraîtront à ta lassitude
Étre un feu et une fièvre
Qui voudraient s'attacher à toi pour toujours.

      IV

Voici, maintenant, des pensées que tu ne banniras pas,
Voici, maintenant des visions qui ne s'évanouiront pas,
De ton esprit elles ne s'en iront
Plus comme la goutte de rosée s'en va de l'herbe.

      V

La brise - le souffle de Dieu - est au repos.
Et la brume sur la colline,
Pleine d'ombre - pleine d'ombre sans déchirure encore,
Est un symbole et un signe.
La façon dont elle s'accroche aux arbres,
Un mystère d'entre les mystères.

   Etoile du soir

C'était au faîte de l'été
Et au mi-temps de la nuit ;
Et les étoiles, en leur orbite,
Brillaient, pâles, à travers la lumière
De la lune froide, à l'éclat plus vif,
Parmi les planètes, ses esclaves
Elle-même siégeant aux cieux,
Son rayon touchant les vagues
Un moment je contemplai
Son sourire froid ;
Trop froid -- trop froid pour moi.
Comme un linceul s'interposa
Un nuage floconneux,
Et, me détournant, je te cherchai
Fière étoile du soir,
Dans ta gloire, lointaine,
Et plus précieux sera ton rayon ;
Car me mettre la joie au coeur
Est la fière tâche
Que tu remplis au ciel la nuit,
Et j'admire plus
Ton feu lointain,
Que la lumière plus froide de l'astre inférieur.

      Imitation

Une vague obscure, insondable,
D'orgueil interminable.
Un mystère, et un rêve,
Semblerait être ma jeunesse.
Je dis que ce rêve était chargé
D'une farouche pensée éveillée,
Pensée d'êtres qui ont été,
Et que mon esprit n'a pas vus.
Que ne les ai-je laissés me croiser,
L'oeil plein de rêves!
Que personne sur la terre n'hérite
De cette vision de mon esprit;
Ces pensées, je voudrais les maîtriser
Comme un charme sur son âme
Car cet espoir étincelant, enfin,
Et ces temps légers ont passé,
Et mon repos en ce monde s'est enfui
Avec un soupir au moment où il disparaissait;
Je ne m'en soucie pas, quand même il périrait
Avec une pensée qu'alors je chérissais.

                  Stances

Dans ma jeunesse j'ai connu un être avec qui la Terre,
En secret communiait, comme il communiait avec elle,
Dans la lumière du jour et dans la beauté, depuis sa naissance.
Un être dont le flambeau de vie, fervent et scintillant, avait été allumé
Au soleil et aux étoiles, d'où il avait tiré
Une lumière ardente, celle qui convenait à son esprit;
Et pourtant cet esprit ne savait pas - à l'heure
De sa propre ferveur -, ce qui avait pouvoir sur lui.

Il se peut que mon esprit soit échauffé
Jusqu'à la ferveur par le rayon de lune tendu là-haut.
Mais je croirais presque que oette folle lumière possède
Plus de puissance que le savoir ancien
L'a jamais affirmé, ou, est-ce d'une pensée
L'essence inincarnée, et rien de plus,
Qui, charme vivifiant, passe sur nous
Comme la rosée nocturne sur l'herbe d'été?

Qui sur nous, quand, comme l'oeil se dilate,
A la vue de l'objet aimé, la larme vient à la paupière,
Qui naguère somnolait, apathique?
Et pourtant, il n'est pas nécessaire que cet objet nous soit caché
Dans la vie il peut être ordinaire - exposé
A toute heure devant nous, mais alors, et alors seulement, évoqué
Par un son étrange, pareil à celui d'une corde de harpe brisée,
Afin de nous éveiller. C'est un symbole et un signe

De ce qui en d'autres mondes, et de ce qui sera donné
Comme beauté par notre Dieu, à ceux-là seuls
Qui, autrement, seraient déchus de la vie et du ciel,
Tirés par la passion de leur coeur, et par cette qualité,
Cette qualité violente de l'esprit qui a lutté,
Avec piété, sinon avec la Foi dont il a abattu
Le trône avec l'énergie du désespoir,
Portant son sentiment profond comme une couronne.

                            Un rêve

En des visions de la sombre nuit, j'ai bien rêvé de joie défunte - mais voici qu'un rêve, tout éveillé, de joie et de lumière m'a laissé le coeur brisé.

Ah ! qu'est-ce qui n'est pas un rêve le jour, pour celui dont les yeux portent sur les choses d'alentour un éclat retourné au passé ?

Ce rêve béni, ce rêve béni, pendant que le monde entier grondait, m'a réjoui comme un rayon cher guidant un esprit solitaire.

Oui, quoique cette lumière, dans l'orage et la nuit, tremblât comme de loin ; que pouvait-il y avoir, brillant avec plus de pureté, sous l'astre de jour de Vérité !

                            Stances

La journée la plus heureuse, l'heure la plus heureuse, mon coeur atteint et fané l'a connue. - Le plus haut espoir d'orgueil et de forces, je sens qu'il est passé.

De forces ! dis-je ? oui ! je me le figure, mais il y a longtemps que c'est évanoui ; hélas ! les visions de la jeunesse ont été, qu'elles fuient.

Orgueil, qu'ai-je maintenant à faire avec toi ! Un autre front peut bien hériter du poison que tu m'as versé : sois tranquille, mon esprit.

Le jour le plus heureux, l'heure la plus heureuse que verront mes yeux, sont vus déjà. Le regard le plus brillant vers l'orgueil et la puissance, je le sens, il a eu lieu :

Mais que cet espoir d'orgueil et de forces s'offrit maintenant avec la peine alors sentie ; cette heure très brillante, je ne voudrais la revivre. -

A son aile s'alliait de l'ombre et, quand elle a volé, tomba une essence, puissante - pour détruire une âme qui la savait.

                            Le Lac

Au printemps de mon âge ce fut mon destin de hanter de tout le vaste monde un lieu, que je ne pouvais moins aimer - si aimable était l'isolement d'un vaste lac, par un roc noir borné, et les hauts pins qui le dominaient alentour.

Mais quand la nuit avait jeté sa draperie sur le lieu comme sur tous, et que le vent mystique allait murmurer sa musique - alors - oh ! alors je m'éveillais toujours à la terreur du lac isolé.

Cette terreur n'était effroi, mais tremblant délice, un sentiment que, non ! mine de joyaux ne pourrait m'enseigner ou me porter à définir - ni l'Amour, quoique l'Amour fût le tien !

La mort était sous ce flot empoisonné, et dans son gouffre une tombe bien faite pour celui qui pouvait puiser là un soulas à son imagination isolée - dont l'âme solitaire pouvait faire un Eden de ce lac obscur.

                   Sonnet à la science

Science, tu es la vraie fille du vieux temps, qui changes toutes choses pour ton oeil scrutateur. Pourquoi fais-tu ta proie ainsi, du coeur du poëte. Vautour dont les ailes sont de ternes réalités ? Comment t'aimerait-il ? ou te jugerait-il sage, toi qui ne le laisserait point, dans la promenade de son vol, chercher un trésor en les cieux pleins de joyaux, encore qu'il y soit monté d'une aile indomptée. N'as-tu pas arraché Diane à son char ? et chassé du bois l'Hamadryade qui cherche un refuge dans quelque plus heureux astre ? N'as-tu pas banni de son flot la Naïade, du vert gazon l'Elfe et moi des rêves d'été sous le tamarin.

                 Al Aaraaf

O, rien de terrestre sinon le rayonnement
(RéIéchi par les fleurs) de l'oeil de la beauté,
Comme dans ces jardins où le jour
Jailit des gemmes de Circassie.
O, rien~ de terrestre sinon le frémissement
Des mélodies d'un ruisseau dans les bois,
Ou (musique des coeurs passionnés)
Les accents de la joie qui s'est enfuie, si paisiblement
Que, comme le murmure qui sourd d'un coquillage,
Son écho demeure et demeurera.
O, rien de ces scories qui sont les nôtres!
Et pourtant, toute la beauté, toutes les fleurs
Qui plaisent à notre amour et parent nos tonnelles,
Décorent ce inonde lointain, lointain -
Cette étoile errante.

C'était une douce époque pour Nésace, car là
Son royaume s'étendait, nonchalant, sur l'air doré,
Près de quatre soleils étincelants - havre éphémère -
Oasis au désert des bienheureux.
Au loin, au loin, parmi des mers de rayons qui roulent
Une splendeur empyréenne sur l'âme délivrée,
Ame qui peut à peine (tant les lames sont denses)
S'efforcer d'atteindre à son éminence assignée.
De temps à autre Nésace volait vers des sphères lointaines,
Et vint réceniment visiter la nôtre que Dieu a distinguée.
Mais, maintenant, souveraine d'un royaume ancré,
Elle jette au loin son sceptre, abandonne la barre
Et, parmi les encens et la solennité des hymnes spirituels,
Elle baigne dans la lumière quadruple ses inembres angéliques.
Désormais, la plus heureuse, la plus charmante sur cette Terre charmante,
Où naquit « L'Idée de Beauté »,
(Tombant en guirlandes parmi les étoiles surprises,
Comme une chevelure de femme parmi les perles, jusqu'à ce q'au loin,
Elle se posât sur les collines achéennes et y demeurât),
Elle plongea le regard dans l'Infini, et se mit à genoux.
De somptueux nuages en guise de dais s'enroulaient au-dessus d'elle -
Justes emblèmes du modèle de son monde,
Perçus en la seule beauté, ne contrariant pas la vue
De la beauté autre qui scintille à travers la lumière,
Guirlande qui enlaçait chaque forme étoilée
Et liait tout l'air opalin dans la couleur.

En toute hâte elle s'agenouilla sur un lit
De fleurs; de lis pareils à ceux qui dressaient la tête
Sur le beau Cap Deucate et jaillissaient
Si impétueusement alentour pour s'attacher
Aux pas agiles - orgueil profond ! -
De celle qui aima un mortel et en mourut.
La Séphalique, bourgeonnante de jeunes abeilles,
Hissait à ses genoux sa tige pourpre :
Et ce joyau, la fleur mal nommée de Trébizonde,
Compagne des étoiles les plus hautes, où, jadis,
Elle faisait pâlir tout autre charme : sa rosée de miel,
(Le nectar fabuleux connu des païens)
Douce jusqu'au délire, stégoutta du Ciel
Et tomba sur les jardins de ceux que n'avait point touché le pardon
A Trébizonde - et sur une fleur de soleil,
Si semblable à la sienne, là-haut, qu'à cette heure
Elle demeure, torturant l'abeille
De folie et des rêveries insolites :
Au ciel, et dans ses environs, la feuille
Et la fleur dans la plante féerique, inconsolées,
S'attardent dans le chagrin - chagrin qui courbe sa tête,
Repentir de folies depuis longtemps enfuies,
Offrant sa blanche poitrine à l'air embaumé,
Comme la beauté coupable, châtiée, mais plus belle :
La nyctanthe aussi, sacrée comme la lumière
Qu'elle craint de parfumer en parfumant la nuit :
Et la clytie pensive entre maints soleils,
Des larmes de colère roulant sur ses pétales :
Et cette fleur ambitieuse qui jaillit sur Terre
Et mourut, à peine venue à la vie,
Faisant éclater son coeur odorant pour s'envoler, en esprit,
Du jardin d'un roi, vers le ciel :
Bt le lotus valisnérien dont le vol s'est achevé là,
Au sortir de sa lutte avec les eaux du Rhône :
Et ton parfum pourpre, suprême enchantement, O, Zante!
Isota d'oro ! Fior di Levante !
Et le bouton de nélumbe qui flotte à tout jamais
Avec le Cupidon indien au fil du fleuve sacré -
Belle fleurs, fleurs féeriques ! à qui est confié le soin
De porter aux cieux, sous forme de parfums, le chant de la Déesse :
      « Esprit qui demeure là
      Où, dans le ciel profond,
      Le terrible et le beau
      Rivalisent de beauté !
      Au-delà de la ligne bleutée,.
      La frontière de l'étoile
      Qui se détourne, à la vue
      De ta barrière et de ta barre,
      De la barrière franchie
      Par les comètes qui furent chassées
      De leur orgueil et de leur trône,
      Pour être à tout jamais serviles
      Pour porter le feu
      (Le rouge feu de leur coeur),
      Vouées à une vitesse immuable
      Et à une douleur pérenne
      Esprit qui vis - cela nous le savons -
      Dans l'Eternité - nous le sentons -
      Mais, l'ombre de ton front,
      Quel esprit la révélera ?
      Quoique les créatures que ta Nésace,
      Ta messagère, a connues,
      Aient rêvé pour ton infinité
      Un modèle à leur mesure,
      Ta volonté est faite, oh, Dieu !
      L'étoile a parcouru le ciel, là-haut,
      A travers maintes tempêtes, mais elle se déplaçait
      Sous ton oeil dc feu ;
      Ici, c'est à toi, en pensée
      Pensée qui, seule,
      Peut gravir ton empire et
      Partager ton trône ;
      C'est à toi, par la Fantaisie allée,
      Que mon ambassade est donnée,
      Jusqu'à ce que le secret devienne coannaissance
      Dans les environs du Ciel. »
Elle se tut et, confuse, enfouit alors sa joue brûlante
Dans les lis, pour y chercher
Abri contre la ferveur de Son oeil ;
Car les étoiles tremblaient devant la Divinité.
Elle était immobile; elle retenait son souffle car une voie
O combien solennelle, emplissait l'air calme !
Un son du silence, à l'oreille surprise,
Que les poètes rêveurs nomment « la musique des sphères » !
Notre monde est un monde de mots : nous appelons le calme
« Silence » - qui est le mot le plus simple de tous.
Toute la Nature parle, et même les choses idéales
Font jaillir des sons ténébreux de leurs ailes visionnaires -
Mais ah ! il n'en est pas de même, lorsqu'ainsi, aux royaumes d'en haut,
Passe l'éternelle voix de Dieu,
Et que les vents rouges se flétrissent dans le Ciel !

« Bien que tu appartiennes à des mondes qui parcourent des cycles invisibles,
Liés à un pauvre système et à un seul soleil
Où tout amour de moi est folie et où la foule
Pense encore que mes terreurs ne sont que nuage de foudre,
Orage, tremblement de terre et fureur de l'Océan
(Ah ! m'affronteront-ils en mon pire courroux ?)
Bien que tu appartiennes à des mondes qui n'ont qu'un seul soleil
Où les sables du Temps s'assombrissent en s'écoulant,
Tienne, cependant, est ma splendeur, que je t'ai donnée
Pour porter mes secrets à travers le Ciel supérieur.
Laisse ta maison de cristal inhabitée et vole,
Avec toute ta suite, à travers le ciel lunaire.
Dispersez-vous - comme les lucioles dans la nuit sicilienne,
Et va porter sur tes ailes, à des mondes autres, une lumière autre!
Divulgue les secrets de ton ambassade
Aux astres orgueilleux qui scintillent - et sois ainsi,
Pour chaque coeur, barrière et interdit,
De peur que les étoiles ne chancellent sous la culpabilité de l'homme ! »
La vierge se leva dans la nuit blonde,
Dans le soir éclairé par une seule lune ! Sur terre nous donnons
Notre foi à un seul amour, nous adorons une seule lune,
Le lieu de naissance de la jeune Beauté n'en avait pas davantage.
Au moment où l'étoile blonde jaillissait des heures duveteuses,
La vierge se leva de son sanctuaire de fleurs,
Elle s'engagea dans la montagne miroitante et la sombre plaine
Mais sans quitter encore son royaume théraséen.
    DEUXIEME PARTIE
Tout en haut d'une montagne couronnée d'émail
Pareille à celle que le berger somnolant, reposant à l'aise
Sur sa couche de géant pâturage,
Levant sa lourde paupière, tressaille de voir,
Murmurant maintes fois son « espoir de pardon »,
A l'heure où la lune est déjà quadrate dans le ciel
Tout ai haut d'une montagne au front rose qui, se dressant au loin
Dans l'éther baigné de soleil, a retenu,
Le soir, le rayon des soleils noyés - au minuit,
Tandis que la lune dansait avec la belle clané plus étrange -
Se dressait, sur cette hauteur, un édifice
Aux colonnes resplendissantes sur l'air allégé,
Dont le marbre parien reflétait ce sourire jumeau
Jusqu'à la vague qui étincelait là-las,
Et nourrissait la jeune montagne dans son gîte.
D'étoiles fondues était leur base, comme celles qui tombent
Dans l'air d'ébène, semant d'argent le poêle mortuaire
De leur propre dissolution, tandis qu'elles agonisent,
Ornant alors les demeures du ciel.
Un dôme, descendu du ciel par des liens de lumière,
Faisait à ces colonnes une couronne légère.
Une fenêtre ronde taillée dans un seul diamant,
Ouvrait, là-haut, sur l'air pourpre,
Et des rayons issus de Dieu fulguraient du haut en bas de cette chaîne de météores,
Sanctifiant deux fois encore cette Beauté,
Sauf lorsque, entre l'Empyrée et cet anneau,
Quelque esprit ardent faisait battre son aile crépusculaire.
Mais sur les piliers, des yeux de Séraphin ont vu
L'obscurité de ce monde : ce vert grisâtre,
Que la Nature choisit pour la tombe de la Beauté,
Se cachait dans chaque corniche, autour de chaque architrave
Et chaque chérubin sculpté,
Qui guettait de sa demeure de marbre,
Paraissait terrestre dans l'ombre de sa niche
Statues achéennes dans un monde si riche?
Frises de Tadmor et de Persépolis
De Balbek et du tranquille et clair abîme
De la belle Gomorrhe! Oh, la vague
Est sur toi maintenant, mais trop tard pour te sauver !

Le son aime à se réjouir dans une nuit d'été :
Témoin le murmure du crépuscule gris
Qui, jadis, en Eyraco, se glissa jusqu'à l'oreille
De maint contemplateur d'étoiles, éperdu,
Et se glisse encore jusqu'à l'oreille de
Qui, dans sa rêverie, contemple les lointains obscurcis,
Et voit les ténèbres monter comme un nuage.
La forme, la voix des ténèbres, ne sont-elles pas des plus palpables et des plus fortes ?
Mais qu'est ceci ? Cela vient et apporte
Avec soi une musique - c'est un bruissement d'ailes -
Une pause - puis l'élan et la chute d'une harmonie,
Et voici Nésace à nouveau dans son palais.
La farouche énergie d'une hâte éperdue
A empourpré ses joues et entrouvert ses lèvres;
La ceinture qui enserrait son aimable taille
Avait cédé sous la pression de son coeur en émoi.
Au centre du palais, pour reprendre son souffle
Elle s'arrêta, O Zanthe, haletante, au sein
D'une lumière féerique qui baisait ses cheveux d'or
Et y éclatait malgré son désir d'y seulement reposer !

Cette nuit-là les jeunes fleurs chuchotaient leur mélodie
Aux fleurs heureuses - et les arbres aux arbres;
Les fontaines versaient de la musique en retombant
Dans maint bois éclairé par les étoiles et maint vallon baigné de lune;
Et pourtant le silence descendait sur les choses matérielles,
Sur les belles fleurs, les cascades étincelantes et les ailes d'ange,
Seul le son qui de l'esprit jaillissait
Accompagnait le charme que chantait la jeune fille :
      « Sous la campanule ou la guirlande,
      Soss les touffes de ramille sauvage
      Qui abritent le rêveur
      Du rayon de la lune,
      Etre de lumière ! qui méditez,
      Les yeux mi-clos,
      Sur les étoiles que votre étonnement
      A tirées des cieux,
      Jusqu'à ce qu'elles percent l'ombre, et
      Descendent sur votre front
      Comme les yeux de la jeune fille
      Qui maintenant vous appelle,
      Levez-vous ! arrachez-vous à vos rêves
      Dans les nids de violettes ! -
      Au devoir consacrez, comme il se doit,
      Ces heures éclairées par les étoiles.
      Secouez de voe tresses
      Alourdies par la rosée
      Le souffle de ces baisers
      Qui les alourdissent aussi
      (Ah ! comment, sans toi, Amour !
      Les anges pourraient-ils être bienheureux ?)
      Ces baisers de l'amour vrai
      Qui vous ont bercés et endormis !
      Debout ! secouez de vos ailes
      Tout ce qui les entrave :
      La rosée de la nuit ;
      Elle appesantirait votre vol ;
      Et les caresses du véritable amour ;
      Ah ! il faut les abandonner !
      Légères sur la chevelure,
      Elles sont de plomb pour le coeur.

      Ligeia ! Ligeia !
      Ma belle Ligeia !
      Dont l'idée la plus discordante
      Se résout en mélodie,
      Ah, ta volonté est-elle
      D'être portée par les brises ?
      O, capricieusement immobile,
      Comme le solitaire albatros ,
      Posée sur la nuit
      (Comme lui sur l'air)
      De veiller, ravie,
      Sur l'harmonie qui est là-bas?
      Ligeia ! où que soit
      Ton image,
      Aucune magie ne séparera jamais
      Ta musique de toi.
      Tu as fermé bien des yeux
      Sur un sommeil riche de rêves,
      Mais les chants s'élèvent encore
      Sous ta seule vigilance.
      Le bruit de la pluie
      Qui, d'un bond, choit sur la fleur,
      Et danse encore,
      Au rythme de l'ondée,
      Le murmure qui s'élève
      De la croissance de l'herbe
      Sont la musique des choses.
      Mais hélas, ce ne sont qu'imitations !
      Va ! ma chérie,
      Va donc, hâte-toi !
      Vers les sources très claires qui reposent
      Sous e rayon de la lune,
      Vers le lac solitaire qui sourit,
      Dans son rêve de repos profond,
      Aux innombrables îles-étoiles
      Qui parent son sein de joyaux,
      Là ou les fleurs sauvages, qui rampent,
      Ont mêlé leur ombre.
      Sur le bord du lac dorment
      Maintes jeunes filles,
      Quelques-unes ont quitté la fraîche clairière, et
      Se sont endormies avec l'abeille
      Eveille-les, ma mie, par les landes et les prés.
      Va ! exhale sur leur sommeil,
      Tout doucement à leur oreille,
      La mélodie
      Qu'elles attendaient de leur sommeil.
      En vérité, qu'est-ce qui peut éveiller un ange
      Qui s'est assoupi
      Sous la froide lune, mieux
      Que cet enchantement - aucun sommeil,
      Fût-elle maléfice, ne peut le vaincre -,
      Cette mélodie rythmique
      Qui l'a bercé et endormi ? »
Esprits doués d'ailes, et anges en apparence,
Mille séraphins jaillirent à travers l'Empyrée,
Jeunes rêves planant, tout somnolents encore,
Séraphins en tout sauf en « Savoir », cette lumière pénétrante,
Tombait, réfractée au loin par tes frontières,
O Mort ! de l'oeil de Dieu sur cette étoile :
Douce était cette erreur, plus douce encore cette mort
Douce était cette erreur, même parmi nous, l'haleine
De la Science ternit le miroir de notre joie.
Pour eux, ce serait un Simoun destructeur
Car de quelle utilité leur est-il (à eux) de savoir
Que la Vérité est Fausseté ou la Félicité, Malheur ?
Douce était leur mort; mourir pour eux était riche
De l'extase dernière d'une vie assouvie.
Nulle immortalité par-delà cette mort,
Mais un sommeil méditatif et qui n'est pas « être »
En ce lieu - ah! puisse mon esprit lassé y sejourner
Hors de l'Éternité du Ciel, et cependant si loin de l'Enfer !
Quel esprit coupable, en quel sombre bosquet,
N'a pas entendu les appels émouvants de cet hymne ?
Deux seulement; ils ont chu : car le Ciel n'accorde nulle grâce
A ceux que le battement de leur coeur rend sourds.
Une vierge angélique et un séraphin - son amant.
Oh! en quel lieu (vous pouvez explorer les vastes cieux)
L'Amour, cet aveugle, fut-il jamais vu aux côtés du sobre Devoir?
L'Amour sans guide a chu - parmi « les larmes d'une plainte parfaite ».
C'était un esprit bon, celui qui chut:
Il errait auprès du puits drapé de mousse,
Il contemplait les lumières qui brillent là-haut,
Il rêvait sous le rayon de la lune auprès de son amour.
Faut-il s'en étonner? Car chaque étoile là-bas est comme un oeil
Et pose un regard si doux sur les cheveux de la Beauté -
Et ces étoiles, et chaque source moussue, étaient sacrées
Pour son coeur hanté d'amour et sa mélancolie.
La nuit avait trouvé (nuit de malheur pour lui),
Sur une roche de la montagne, le jeune Angelo -
La ligne oblique de la roche barre le ciel solennel ;
Elle menace les mondes étoilés qu'elle domine.
C'est là qu'il se tenait, avec son amour - son oeil sombre tourné,
Avec un regard d'aigle, sur le firmament :
Un instant il porte son regard sur elle, mais, toujours
Tremblant, il est ramené à l'orbe de la TERRE.

« Ianthe, très chère Ianthe, regarde ! Comme ce rayon est faible !
N'est-il pas enchanteur de plonger aussi loin le regard ?
La Terre paraissait autre, ce soir d'automne
Où j'ai quitté ses palais somptueux, sans pleurer mon départ.
Ce soir, ce soir-là, comment ne point m'en souvenir ?
A Lemnos, le rayon du soleil tombait, comme un charme magique,
Sur les arabesques gravées d'une salle dorée
Où je me tenais, et sur les draperies aux murs ;
Et sur mes paupières - oh, la pesante lumière !
De quel poids elle les entraîna, engourdies, dans la nuit !
A mon regard jadis, s'offraient les fleurs et la brume et l'amour,
En compagnie de Saadi, le Persan, dans son Gulistan :
Mais, ah, cette lumière ! - Je m'assoupis. La Mort, cependant,
Envahit mes sens dans cette île enchanteresse,
Si doucement que nul cheveu soyeux
Ne s'éveilla ; ou sut qu'elle était là.

Le dernier endroit de l'orbe terrestre que je foulai
Etait un temple altier appelé le Parthénon.
Plus de Beauté s'attachait à ses murs et à ses colonnes
Que n'en recèle même ton sein brûlant.
Et quand le vieux Temps délia mon aile
C'est de là que je m'élançai - comme l'aigle de sa tour,
Et en une heure, je laissai des années derrière moi.
Dans le temps que je passais sur ses limites aériennes,
Une moitié du jardin de son globe fut déroulé
Sous mes yeux comme une carte
Jusqu'aux cités inhabitées du désert !
Ianthe, la Beauté m'assaillit alors,
Et je désirai à demi être à nouveau de la race des hommes. »

« Mon Angelo ! pourquoi être l'un d'entre eux ?
Tu trouves id une demeure plus brillante,
Des champs plus verts que dans ce monde là-haut,
Et les enchantements d'une femme, et l'amour psssionné. »

« Mais, écoute, ô lanthe ! Quand l'air si doux
Fit défaut, tandis que mon esprit ailé s'envolait,
Mon cerveau, peut-êre, fut pris de vertige, mais le monde
Que je venais de quitter fut précipité dans le chaos.
Il jaillit de sa place, dispersé aux vents,
Et roula, comme une flamme, à travers les Cieux ernbrasés.
Il me parut, mon aimée, que je cessai alors de voler,
Que je tombais - non point du mouvement rapide par lequel je m'élevais naguère,
Mais par saccades à travers
La lumière et ses myons d'airain, vers cette étoile d'or !
Brève fut la mesure de mes heures de chute,
Car de toutes les étoiles, la plus proche de la nôtre était la tienne.
Terrible étoile ! elle vint, par une nuit d'allégresse,
Daedalion rouge sur la Terre effarouchée.

Oui, nous vînmes jusqu'à ta Terre, mais ce n 'est pas à nous
Qu'il appartient de discuter les commandements de notre dame.
Nous vînmes, mon amour : tout autour, au-dessus, au-dessous,
Gaies lucioles de la nuit, nous allons et venons,
Sans demander la raison de rien, au-delà du salut angélique
Qu'Elle nous accorde, comme l'accorde son Dieu.
Mais Angelo, jamais le Temps chenu n'a déployé
Son aile féerique sur un monde plus féerique que le tien !
Sombre était son disque minuscule, et des yeux d'anges
Pouvaient seuls voir le fantôme dans les cieux,
Quand Al Aaraaf apprit que sa course la menait
Tout droit, au-dessus de la mer étoilée, vers ce monde.
Mais quand sa splendeur envahit le ciel,
Comme le buste ardent de la Beauté sous l'oeil de l'homme,
Nous fîmes halte devant l'héritage des hommes,
Et ton étoile frissonna - comme le fait alors la Beauté ! »

Ainsi, en paroles, les amants usèrent-ils la nuit.
La nuit qui pâlissait et pâlissait sans enfanter le jour.
Ils tombèrent : car le ciel n'accorde nul espoir
A ceux que le battement de leur coeur rend sourds.

                      La Romance

La Romance, qui se plaît à saluer et à chanter, l'aile ployée, parmi les feuilles vertes secouées au loin dans quelque lac ombreux, a été pour moi un perroquet colorié - oiseau fort familier ; - m'a montré l'alpha- bet, et à balbutier mes toutes premières paroles quand j'étais dans le bois farouche, enfant à l'oeil sagace.

Condors (maintenant) des ans éter- nels ébranlent à ce point les hauteurs de l'air avec un tumulté de foudre, que je n'ai plus de temps pour des soins ardents, les yeux fixes sur l'inquiet ciel. Et quand une heure aux ailes plus calmes étend sa plume sur mon esprit - passer ce peu de temps avec la lyre et le rythme (choses défendues !) mon coeur s'en ferait un crime, à moins qu'il n'ait frémi à l'unisson des cordes.

           A ...

Si les débuts de ma vie semblaient
(Comme il se pourrait bien) un rêve,
Pourtant je n'accorde nulle foi
Au roi Napoléon.
Je ne recherche pas, au loin,
Ma destinée dans une étoile :

En te quittant maintenant
Je n'avouerai rien de plus que ceci :
Il y a des êtres, et il y en a eu,
Que mon esprit n'aurait pas vus
Si je les avais laissé passer auprès de moi,
L'oeil plein de rêves.
Si la paix m'a fui
En une nuit ou en un jour,
En une vision ou dans aucune,
En est-elle, pour autant, moins disparue?

Je suis là, debout, dans les rugissements
D'un rivage battu par les vents,
Et dans ma main je tiens
Quelques grains de sable.
Bien peu! et comme ils glissent
A travers mes doigts vers l'abîme!
Mes espoirs juvéniles? ah, non, ils
Se sont enfuis, glorieusement,
Comme l'éclair s'enfuit du ciel
D'un coup - et je ferai de même.

Si jeune? ah! non, pas maintenant!
Tu n'as pas vu mon front,
Mais on te dit que je suis orgueilleux,
On ment - on ment très haut -
Mon coeur bat de honte
Devant la mesquinerie de ce nom
Qu'on ose rapprocher
D'un sentiment tel que le mien.
Stoïque? Je ne le suis pas :
Dans les terreurs de ma destinée
Je ris à la pensée des fadeurs
De ce plaisir : « Endurer! »
Quoi! Ombre de Zénon! Moi!
Endurer! non, non - défier.

           A ...

Les charmilles où, en rêve, je vois
Les plus folâtres des oiseaux chanteurs,
Sont des lèvres - et toute ta mélodie
De mots engendrés par tes lèvres -

Tes yeux, déposés au sanctuaire des cieux du coeur,
Tombent alors, désolés,
Ô Dieu! sur mon esprit sépulcral,
Comme l'éclat des étoiles sur un drap mortuaire -

Ton coeur - ton coeur! - Je m'éveille et soupire
Et m'endors pour rêver jusqu'au jour
De la vérité que l'or ne saurait acheter -
Et des babioles qu'il peut se procurer.

                      A la rivière

Belle rivière! dans ton cours de cristal clair et brillant, vagabonde eau,
tu es un emblème de l'éclat de la beauté, du coeur qui ne se cache,
des détours enjoués de l'art chez la fille du vieil Alberto;

Mais qu'elle regarde dans ton flot, qui tremble soudain et resplendit,
alors le plus joli des ruisseaux ressemble à son adorateur; car dans
un coeur, comme ta fuite, reste son image profonde, un coeur
tremblant au rayonnement de ses yeux qui cherchaient l'âme.

                           ***

Je ne prends point garde que mon sort terrestre n'a presque rien de la terre, que des années d'amour ont été oubliées dans la haine d'une minute : mon deuil n'est point que les désolés mêmes ne soient plus heureux, bijou! que moi, mais que vous vous chagrinez de mon sort, moi qui suis un passant.

                           Féerie

Noir val - et cours d'eau ombreux - et bois pareils à des nuages, dont on ne peut découvrir les formes, à cause des larmes qui s'égouttent partout - là croissent et décroissent d'énormes lunes - encore - encore - encore à tout moment de la nuit - changeant à jamais de lieu - elles éteignent la lumière des étoiles avec l'haleine de leurs faces pâles. Vers minuit au cadran lunaire, une plus nébuleuse que le reste (d'une espèce qu'à l'épreuve elles ont trouvé être la meilleure) descend, - bas, plus bas, et son centre à la cime d'une éminence de montagnes, pendant que la vaste circonférence retombe en draperies aisées sur les hameaux, sur les résidences (partout où il y peut y en avoir), sur les bois étranges - sur la mer - sur les esprits au vol - sur toute chose assoupie - et les ensevelit dans un laby- rinthe de lueur. Profonde, oh ! profonde alors la passion de leur sommeil. Au matin Elles se lèvent, et le voile lunaire prend vers les Cieux un essor, avec les tempêtes qui s'y agitent, comme... presque comme tout - ou un pâle Albatros. Elles n'emploient plus cette lune aux mêmes fins que devant, videlicet une tente - ce que je crois extravagant : ses atomes donc se séparent en une averse, dont ces papillons de la Terre, qui cherchent les Cieux et redescendent (êtres jamais satisfaits !) apportent un spécimen par leurs ailes frissonnantes.

                      Seul

Depuis l'heure de l'enfance, je ne suis pas
Semblable aux autres ; je ne vois pas
Comme les autres ; je ne sais pas tirer
Mes passions à la fontaine commune
D'une autre source provient
Ma douleur, jamais je n'ai pu éveiller
Mon coeur au ton de joie des autres
Et tout ce que j'aimai, je l'aimai seul
C'est alors -- dans mon enfance -- à l'aube
D'une vie de tumulte que fut puisé
A chaque abîme du bien et du mal,
Ce mystère qui toujours me retient --
Au torrent et à la fontaine
Dans la falaise rouge de la montagne --
Dans le soleil qui roule autour de moi
En son or automnal
Dans l'éclair qui volait au ciel et passait
Près de moi pour s'enfuir,
Dans le tonnerre et dans l'orage
Et dans la nuage qui prenait la forme
(Alors que le reste du ciel était bleu)
D'un démon à mes yeux.

           Elizabeth

Élizabeth, il sied fort bien, c'est sûr,
(Ainsi l'exigent la logique et l'usage courant)
Que dans ton livre à toi, ton nom d'abord figure,
N'en déplaise à Zénon et aux autres penseurs ;
Et j'ai d'autres raisons, moi, d'en user ainsi,
Outre mon amont inné de la contradiction ;
Tout poète - s'il est bien poète - en poursuivant
Les Muses à travers leurs retraites de Vérité et d'Invention,
A, pour sa part, étudié fort peu
, N'a rien lu, écrit moins encore, en bref est un sot,
Qui ne possède en propre ni âme, ni raison, ni art,
S'il ignore une règle, essentielle celle-là,
Figurant jusque dans les thèses des écoles
Et nommée - j'oublie le barbare nom grec -
(Peu importe le nom, le sens reste le même)
« Inscris toujours d'abord ce que le coeur nomme en premier. »

           Acrostiche

Elizabeth, c'est en vain que tu dis
« Las! N'aime pas » tu dis cela si tendrement;
Inutilement tes mots au creux de L.E.L.,
Zanthippe et ses talents imitèrent si bien :
Ah! si ce langage en ton coeur prend naissance,
Beaucoup moins doux fais ton discours, et puis, voile tes yeux.
Endymion, souviens-toi, quand la lune essaya
Tendre, de guérir son amour, fut guéri de tous les maux,
Hélas, de sa folie, de son orgueil, de sa passion, car il mourut.

           Joe Locke

Quant à Locke, c'est de la poudre aux yeux
Que le diable bientôt fasse appel à son âme!
Jamais on ne le découvrit
Endormi à la diane.

John Locke était un nom respectable
Joe Locke l'est plus encore : bref,
L'un ne manqua jamais à la gloire
Et l'autre est toujours au rapport.

           Stances à Hélène

Hélène, ta beauté est pour moi comme ces barques nicéennes
d'autrefois qui, sur une mer parfumée, portaient doucement le défait
et las voyageur à son rivage natal.

Par des mers désespérées longtemps coutumier d'errer, ta chevelure
hyacinthe, ton classique visage, tes airs de Naïade m'ont ramené, ainsi
que chez moi, à la gloire qui fut la Grèce, à la grandeur qui fut Rome.

Là, dans cette niche splendide d'une croisée, c'est bien comme une statue
que je te vois apparaître, la lampe d'agate en la main, ah! Psyché!
de ces régions issues qui sont terre sainte.

                           Israfel

Dans le ciel habite un esprit " dont les fibres du coeur font un luth ". Nul ne chante si étrangement bien - que l'ange Israfel, et les étoiles si irrésolues (au dire des légendes) cessant leurs hymnes, se prennent au charme de sa voix, muettes toutes.

Vacillante et lointaine à sa plus haute heure, la lune énamourée rougit de passion ; alors, pour écouter, la vermeille clarté ainsi que les rapides Pléiades, elles- mêmes, toutes les sept, fait une pause dans les Cieux.

Ils disent (le coeur étoilé et tout ce qui écoute là) que la flamme d'Israfeli doit à cette lyre, avec quoi il siège et chante, le frémissement de vie qui se prolonge sur ces cordes extraordinaires.

Mais cet ange a foulé le firmament, où de profondes pensées sont un devoir - où l'Amour est un dieu dans sa force - où les oeillades des houris possèdent toute la beauté que l'on adore dans une étoile.

Voilà pourquoi tu n'as pas tort, Israfeli, que ne satisfait pas un chant impossible ; à toi appartiennent les lauriers, ô Barde le meilleur, étant le plus sage ! Vis joyeusement et longtemps ! et longtemps !

Les célestes extases d'en haut, certes, vont bien à tes brûlantes mesures ; ta peine, ta joie, ta haine, ton amour, à la ferveur de ton luth - les étoiles peuvent être muettes.

Oui, le ciel est à toi, mais chez nous est un monde de douceurs et d'amertumes ; nos fleurs sont simplement - des fleurs ; et l'ombre de ta félicité parfaite est le sommeil de la nôtre.

Si je pouvais habiter où Israfel habite et que lui me fût, il se pourrait qu'il ne chantât pas si étrangement bien une mélodie mortelle ; tandis qu'une note plus forte que celle-ci peut-être roulerait de ma lyre dans le Ciel.

                      La Cité en la mer

Voyez ! la Mort s'est élevé un trône dans une étrange cité gisant seule en l'obscur Ouest ; où les bons et les mauvais, les pires et les meilleurs s'en sont allés au repos éternel. Chapelles et palais et tours (par le temps rongées, des tours qui ne tremblent pas!) ne ressemblent à rien qui soit chez nous. A l'entour, par le soulèvement du vent oubliées avec résignation gisent sous les cieux les rnélancoliques eaux.

Nul rayon, du ciel sacré ne provient, sur les longues heures de nuit de cette ville ; mais une clarté sortie de la mer livide inonde les tours en silence, luit sur les faîtes au loin et de soi, sur les dômes, sur les résidences royales, sur les temples, sur des murs comme à Babylone, sur la désuétude ombragée de vieux bosquets d'ifs sculptés et de fleurs de pierre, sur mainte et mainte merveilleuse chapelle dont les frises contournées enlacent avec des violes la violette et la vigne. Avec résignation sous les cieux gisent les mélancoliques eaux. Tant se confondent ombres et tourelles, que tout semble suspendu dans l'air, tandis que d'une fière tour de la ville la Mort plonge, gigantesque, le regard.

Là, des temples ouvertes et des tombes béantes bâillent au niveau des lumineuses vagues; mais ni la richesse qui gît en l'oeil de diamant de chaque idole, ni les morts gaiement parés de joyaux ne tentent les eaux hors de leur lit, car aucune lame ne s'enroule, hélas! le long de cette solitude de verre, aucun gonflement ne raconte qu'il peut être des vents sur quelque mer plus heureuse du loin, aucune houle ne suggère que des vents ont été sur des mers d'une moins hideuse sérénité. <¨P> Mais voici! un branle est dans l'air : la vague - il y a mouvement. Comme si les tours avaient repoussé, en sombrant doucement, l'onde morne, comme si les faîtes avaient alors faiblement fait le vide dans les cieux figés. Les vagues ont à présent une lueur pIus rouge, les heures respirent sourdes et faibles, et quand, parmi des gémissements autres que de la terre, très bas, très bas, cette ville hors d'ici s'établira, l'Enfer, se levant de mille trônes, lui rendra hommage.

                           La Dormeuse

A minuit, au mois de Juin, je suis sous la lune mystique : une vapeur opiacée, obscure, humide, s'exhale hors de son contour d'or et, doucement se distillant, goutte à goutte, sur le tranquille sommet de la montagne, glisse, avec assoupissement et musique, parmi l'universelle vallée. Le romarin salue la tombe, le lys flotte sur la vague ; enveloppant de brume son sein, la ruine se tasse dans le repos : comparable au Léthé, voyez ! le lac semble goûter un sommeil conscient et, pour le monde, ne s'éveillerait. Toute Beauté dort : et repose, sa croisée ouverte au ciel, Irène, avec ses Destinées !

Oh ! dame brillante, vraiment est-ce bien, cette fenêtre ouverte à la nuit ? Les airs folâtres se laissent choir du haut de l'arbre rieusement par la persienne ; les airs incorporels, troupe magique, voltigent au dedans et au dehors de la chambre, et agitent les rideaux du baldaquin si brusquement - si terriblement - au-dessus des closes paupières frangées où ton âme en le somme gît cachée, que, le long du plancher et au bas du mur, comme des fantômes s'élève et descend l'ombre. Oh ! dame aimée, n'as-tu pas peur ? Pourquoi ou à quoi rêves-tu maintenant ici ? Sûr, tu es venue de par les mers du loin, merveille pour les arbres de ces jardins ! Etrange est ta pâleur ! étrange est ta toilette ! étrange par dessus tout ta longueur de cheveux, et tout ce solennel silence !

La dame dort ! oh ! puisse son sommeil, qui se prolonge, de même être profond. Le Ciel la tienne en sa garde sacrée ! La salle changée en une plus sainte, ce lit en un plus mélancolique, je prie Dieu qu'elle gise à jamais sans que s'ouvre son oeil, pendant qu'iront les fantômes aux plis obscurs.

Mon amour, elle dort ! oh ! puisse son sommeil, comme il est continu, de même être profond. Que doucement autour d'elle rampent les vers ! Loin dans la forêt, obscure et vieille, que s'ouvre pour elle quelque haut caveau - quelque caveau qui souvent a fermé les ailes noires de ses oscillants panneaux, triomphal, sur les teintures armoriées des funérailles de sa grande famille - quelque sépulcre, écarté, solitaire, contre le portail duquel elle a lancé, dans sa jeunesse, mainte pierre oisive - quelque tombe hors de la porte reten- tissante de laquelle elle ne fera plus sortir jamais d'écho, frissonnante de penser, pauvre enfant de péché ! que c'étaient les morts qui gémissaient à l'intérieur.

                           Lénore

Ah! brisée est la coupe d'or! l'esprit à jamais envolé. Que sonne le
glas! une âme sanctifiée flotte sur le fleuve stygien ; et toi, Guy de Vere,
n'as-tu de larmes? pleure maintenant ou jamais plus! Vois! sur cette
morne et rigide bière gît ton amour, Lénore! Allons! que l'office
mortuaire se lise, le chant funèbre se chante! Une antienne pour la
morte la plus royale qui jamais soit morte si jeune, une psalmodie pour
elle, morte deux fois parce qu'elle est morte si jeune!

« Misérables! vous l'aimiez pour sa richesse et la haïssiez pour son
orgueil, et quand sa santé chancela vous la bénissiez, parce qu'elle
mourait. Comment donc le rituel sera-t-il lu? Le requiem, chanté par
vous, par toi, l'oeil mauvais, par toi, la langue infamante, qui avez causé
la mort de l'innocence qui est morte si jeune? »

« Peccavimus ; mais ne délire pas de la sorte! et qu'un chant du sabbat
monte à Dieu si solennellement qua la morte ne sente de mal! La suave
Lénore a « pris les devants» avec l'espoir qu volait à côté, te laissant
dans l'égarement à cause de cette chère enfant qui aurait été ton épousée,
elle la belle et de grand air qui maintenant gît si profondément, la
vie sur la blonde chevelure, mais pas dans les yeux, la vie là encore,
sur la chevelure, la mort aux yeux. »

« Arrière! ce soir j'ai le coeur léger. Je n'entonnerai de chant mortuaire,
mais soutiendrai, dans son vol, l'ange par un Péan des vieux jours!
Que ne tinte de glas! de peur que son âme suave, parmi sa religieuse
allégresse, n'en saisisse la note, comme Elle plane sur la Terre maudite.
Vers les amis d'en haut, aux démons d'en bas le fantôme indigné
s'arrache à l'Enfer, vers une haute condition au loin dans les Cieux,
aux pleurs et aux plaintes, vers un trône d'or à côté du Roi des Cieux. »

           La Vallée de l'inquiétude

Autrefois souriait un val silencieux que son monde n'habitait pas : tous étaient allés en guerre, confiant aux doux yeux des étoiles, la nuit, de veiller des hautes tours de l'azur sur les fleurs au milieu de qui, tout le jour, le soleil vermeil demeurait paresseusement.

Maintenant, tout visiteur confessera l'instabilité de la triste vallée. Il n'y a rien d'immobile, rien sauf les airs qui accablent la magique solitude. Ah! aucun vent ne trouble ces arbres qui palpitent comme les mers glacées autour des brumeuses Hébrides! Ah! aucun vent ne pousse ces nuages qui frémissent par les cieux inquiets, avec malaise, du matin au soir, au-dessus des violettes qui sont là par myriades de types de l'oeil humain, au-dessus des lis qui ondulent et pleurent sur une tombe sans nom. Ils ondulent : de leurs odorants sommets d'éternelles rosées tombent par gouttes. Ils pleurent : de leurs délicates tiges les pérennelles larmes descendent en pierreries.

           Sérénade

Si douce est l'heure et si calme l'instant
Que c'est, je le sens, plus qu'à demi pécher,
Quand la Nature dort, et se taisent les étoiles,
Que de briser le silence même avec le luth.
Paisible, dans les teintes brillantes de l'Océan
Repose une image de l'Elysée :
Extatiques, au Ciel sept Pléiades
Se donnent sept soeurs dans le flot.
Endymion qui là-haut dodeline,
Découvre dans la mer une seconde passion.
Au creux des vallées obscures et brunes
Et sur la couronne spectrale de la montagne
La lumière lasse s'éteint :
Et la terre et les étoiles, et la mer et le ciel
Sont pleins de sommeil, comme je suis
Moi, plein de toi et de ton
Amour ensorcelant, mon Adeline.
Mais écoute, oh ! écoute, si basse et douce
Coulera ce soir la voix de ton amant,
Qu'à peine éveillée, ton âme croira
Mes mots la musique d'un rêve.
Ainsi, sans qu'un seul son trop rude
Vienne troubler ton somme,
Noe pensées, nos âmes - ô Dieu du Ciel -
Et chaque chose se mêleront, mon amour.

           A ...

Dors, dors encore, une heure encore,
Je ne veux pas briser un sommeil aussi calme,
T'éveiller au soleil et à l'averse,
Au sourire et aux larrnes.

Dors, dors encore, comme un objet sculpté,
Tu es belle, majestueuse;
Assurément un Séraphin te protège de son aile
Et évente ton front
.
Nous ne pouvons te croire fille de la Terre,
Car ta forme est celle d'un ange!
Mais c'est au Ciel que tu pris naissance,
Où nul orage ne vient

Tuer la fleur éclatante, parfaite,
Mais où tout est calme et beau,
Et où des sables d'or annonoent l'heure
Qui n'apporte aucun malheur.

Dors, dors encore, quelque rêve féerique
Est peut-être tissé en ton sommeil,
Mais, hélas, ton esprit, calme, serein
Doit s'éveiller aùx larmes.

           Fanny

Le cygne mourant près des lacs du Nord
Chante son impulsif chant de mort, tendre et clair,
Et tandis qu'éclate l'harmonie solennelle
Par monts et vallées elle se dissout dans l'air;
Tout aussi musicale parvint ta voix douce,
Ainsi frémit sur tes lèvres mon nom.

Pareil à l'éclat du soleil à travers le nuage d'ébène
Qui voile le ciel solennel de minuit,
Perçant le noir linceul du soir glacé,
Ainsi parvint le premier regard de cet oeil;
Mais comme le roc diamantin
Mon esprit accepta et soutint l'assaut.

Que vive dans la mémoire le garçon
Qui déposa son coeur à ton sanctuaire,
Quand au loin retentit son pas,
Songe que pour lui tes charmes étaient divins;
Lui, victime immolée sur l'autel de l'amour,
Par des yeux dont les maléfices ne semblaient que dédain.

                           Le Colisée

Type de l'antique Rome ! Riche reliquaire de contemplations hautes au temps léguées par des siècles ensevelis de pompe et de puissance ! Enfin - enfin - après tant de jours de lassant pèlerinage fatigué et de brûlante soif (soif des sources de savoir qui gisent en toi) je m'agenouille, homme jeune et changé, dans tes ombres, et bois du fond même de mon âme ton soir, ta grandeur et ta gloire !

Vastitude ! âge ! et mémoire de jadis ! silence ! et désolation ! et nuit sombre ! Je vous sens maintenant - je vous sens dans ma force. - O sortilèges plus sûrs que jamais roi de Judée n'en enseigna dans les jardins de Gethsemani ! O charmes plus valides que la Chaldée ravie n'en soutira jamais aux tranquilles étoiles.

Ici où tomba un héros, tombe une colonne ! Ici où l'aigle théâtral éclatait d'or, la brune chauve-souris fait sa veille de minuit. Ici ! où des dames de Rome agitaient au vent leur chevelure dorée, maintenant s'agite le chardon et l'ajonc. Ici ! où le monarque s'inclinait sur un trône en or, glisse, comme un spectre, vers sa demeure de marbre, par la faible lumière des cornes de la lune éclairé, le silencieux et vil lézard des pierres.

Mais reste ? Ces murs - ces arcades de lierre vêtues - ces plinthes croulantes - ces fûts tristes et noircis - ces entablements vagues - ces frises émiettées - ces corniches en morceaux - ce naufrage - cette ruine - ces pierres, hélas ! ces pierres grises, est-ce là, de ce qui fut le fameux et colossal, tout ce qu'à la destinée et à moi ont laissé les corrosives Heures.

" Pas tout " me répondirent les Échos - " pas tout ! " Sons prophétiques et forts, montez à jamais de nous et de toute ruine, vers. le sage ; comme la mélodie de Memnon vers le Soleil. Nous régnons sur les coeurs des plus puissants des hommes - nous exerçons un despotique empire, sur les esprits géants. Nous ne sommes pas impuissantes, nous passives pierres. Non, notre pouvoir n'est point parti - pas toute notre célébrité - pas toute la magie de notre haut renom - pas toute la merveille qui nous ceint - pas tous les mystères qui gisent en nous - pas toutes les réminis- cences qui se suspendent et s'attachent à nous comme un vêtement, nous habillant d'une robe en plus que de la gloire.

           A Quelqu'un au paradis

Tu étais pour moi, amour, tout ce vers quoi mon âme languissait - une île verte en mer, amour, une fontaine et un autel, enguirlandés tout de féeriques fruits et de fleurs, et toutes les fleurs à moi.

Ah ! rêve trop brillant pour durer : ah ! espoir comme une étoile, qui ne te levas que pour te voiler. Une voix, du fond du Futur crie : " Va ! - va ! " - mais sur le Passé (obscur gouffre) mon esprit, planant, est muet, consterné, immobile !

Hélas ! hélas ! car pour moi la lumière de la vie est éteinte : " non ! - plus ! - plus ! - plus ! " (ce langage que tient la solennelle mer aux sables sur le rivage) ne fleurira l'arbre dévasté de la foudre, et l'aigle frappé ne surgira.

Et tous mes jours sont des extases, et tous mes songes de la nuit sont où ton oeil d'ombre s'allume et luit ton pas - dans quelles danses éthérées - par quels ruissellements éternels !

                 Hymne

Au matin, au midi, au sombre crépuscule
Marie! tu as entendu mon hymne!
Dans la joie et la douleur, dans le bien et le mal,
Mère de Dieu, ne m'abandonne pas!
Quand les Heures s'enfuyaient étincelantes,
Et qu'aucun nuage n'obscurcissait le ciel,
Mon âme, en péril de vagabondage,
Était menée par ta grâce vers les tiens et vers toi;
Maintenant que les orages du Destin assombrissent
Mon Présent et mon Passé,
Accorde à mon Futur l'éclat radieux
D'un doux espoir de toi et des tiens!

                                 A F.

Bien-aimée parmi les maux pressants qui s'attroupent autour de mon sentier terrestre, morne sentier, hélas ! où ne croît pas même une rose solitaire, mon âme a du moins un soulas dans des rêves de toi, et y sait un Éden de chers repos.

Ton souvenir est pour moi comme une île enchantée au loin dans une mer tumultueuse, quelque océan vaste et libre, tressautant de tempêtes, mais où néanmoins les cieux les plus sereins sourient continuellement juste au-dessus de cette île brillante.

                               À F.-S.O.

Tu voudrais être aimée? Donc que ton coeur ne s'écarte de son sentier présent! Étant de tout point ce que tu es maintenant, ne sois rien de ce que tu n'es pas. Ainsi, pour le monde, tes nobles façons, ta grâce, bien plus que de la beauté, seront un thème sans fin de louange; à l'amour, un simple devoir.

                      Ballade de noces

L'anneau est à mon doigt, et la couronne à mon front ; une profusion de satins et de joyaux est à mes ordres - et je suis heureuse maintenant.

Et, mon Seigneur, il m'aime bien ; - mais quand il exhala son voeu, je sentis mon coeur se gonfler - car les mots sonnèrent comme un glas et la voix semblait la sienne, à celui qui tomba - dans la bataille au fond de la vallée, et qui est heureux maintenant.

Mais il parla de façon à me rassurer, et il baisa mon front pâle ; lorsqu'une rêverie survint et me porta au cimetière, et je soupirai, devant moi le voyant mort, d'Elormie : « Oh ! je suis heureuse maintenant ! »

Comme cela, furent prononcées les paroles, comme cela fut proféré le voeu ; et, quoique je manque à ma foi et quoique le coeur me manque, regardez le gage d'or qui prouve que je suis heureuse maintenant.

Plaise à Dieu que je m'éveille ! car je ne sais pas ce que je rêve, et mon âme est douloureusement ébranlée - de la crainte qu'il y ait un mauvais pas de fait, de peur que le mort qui est délaissé ne soit pas heureux maintenant.

                               A Zante

Belle île ! qui de la plus belle de toutes les fleurs tires le plus aimable de tous les noms aimables, le tien, combien de réminiscences et de quelles heures radieuses ! s'éveillent d'abord à ta vue et de tout ce que tu contiens ! Combien de scènes et de quelle félicité disparue ! Combien de pensée et de quelles espérances ensevelies ! Que de visions d'une jeune fille qui n'est - plus, non, plus sur tes pentes de verdure ! Plus ! hélas ; ce triste et magique mot transformer tout ! tes charmes ne plairont plus ; plus, ta mémoire. Pour un sol maudit je tiens désormais ton rivage émaillé de fleurs. O île d'Hyacinthe ! O vermeille Zante ! Isola d'oro, Fior de Levante.

                      Le Palais hanté

Dans la plus verte de nos vallées par de bons anges occupée, jadis un beau palais majestueux, rayon- nant palais ! dressait le front. - Dans les domaines du monarque Pensée - c'était là, son site : jamais Séraphin ne déploya de plumes sur une construction à moitié aussi belle.

Les bannières, claires, glorieuses, d'or, sur son toit, se versaient et flottaient (ceci - tout ceci - dans un vieux temps d'autrefois) ; et, tout vent aimable qui badinait dans la douce journée le long des remparts empanachés et blanchissants : ailée, une odeur s'en venait.

Les étrangers à cette heureuse vallée, à travers deux fenêtres lumineuses, regardaient des esprits musi- calement se mouvoir, aux lois d'un luth bien accordé, tout autour d'un trône : où siégeant (Porphyrogénète !) dans un apparat à sa gloire adapté, le maître du royaume se voyait.

Et tout de perle et de rubis éclatante était la porte du beau palais, à travers laquelle venait par flots, par flots, par flots et étincelant toujours, une troupe d'Echos dont le doux devoir n'était que de chanter, avec des voix d'une beauté insurpassable, l'esprit et la sagesse de leur roi.

Mais des êtres de malheur aux robes chagrines assaillirent la haute condition du monarque (ah ! notre deuil : car jamais lendemain ne fera luire d'aube sur ce désolé !) et, tout autour de sa maison, la gloire qui s'empourprait et fleurissait n'est qu'une histoire obscu- rément rappelée des vieux temps ensevelis.

Et les voyageurs, maintenant, dans la vallée, voient par les rougeâtres fenêtres de vastes formes qui s'agitent, fantastiquement, sur une mélodie discordante, tandis qu'à travers la porte, pâle, une hideuse foule se rue à tout jamais, qui rit - mais ne sourit plus.

                                 Silence

Il y a des entités, des choses incorporelles, ayant une double vie, laquelle
a pour type cette dualité qui ressort de la matière et de la lumière
manifestée par l'ombre et la solidité. Il y a un silence à double face
-- mer et rivage, corps et âme. L'un habite les endroits solitaires
nouvellement recouverts par l'herbe; des grâces solennelles, de
réminiscences humaines et une science de larmes lui ôtent toute
terreur : son nom est « Non! plus.» C'est le corps du silence :
ne le redoute pas! Il n'a en soi de pouvoir mauvais. Mais si quelque
urgent destin (lot intempestif!) t'amène à recontrer son ombre (elle
innommée, qui, elle, hante les régions les régions isolées que n'a foulées nul pied
d'homme), recommande ton âme à Dieu.

                      Le Ver vainqueur

Voyez ! c'est nuit de gala dans ces derniers ans solitaires ! Une multitude d'anges en ailes, parée du voile et noyée de pleurs, siége dans un théâtre, pour voir un spectacle d'espoir et de craintes, tandis que l'orchestre soupire par intervalles la musique des sphères.

Des mimes avec la forme du Dieu d'en haut chuchotent et marmottent bas, et se jettent ici ou là - pures marionnettes qui vont et viennent au comman- dement de vastes choses informes lesquelles transportent la scène de côté et d'autre, secouant de leurs ailes de Condor l'invisible Malheur.

Ce drame bigarré - oh ! pour sûr, on ne l'oubliera ! avec son Fantôme à jamais pourchassé par une foule qui ne le saisit pas, à travers un cercle qui revient toujours à une seule et même place ; et beaucoup de Folie et plus de Péché et d'Horreur font l'âme de l'intrigue.

Eteintes ! - éteintes sont les lumières - toutes éteintes ! et, par-dessus chaque forme frissonnante, le rideau, mortuaire drap, descend avec un fracas de tempête, et les anges, pallides tous et blêmes, se levant se dévoilant, affirment que la pièce est la tragédie l'Homme et sôn héros le Ver Vainqueur.

Mais voyez, parmi la cohue des mimes, faire intrusion une forme rampante ! Quelque chose de rouge sang qui sort en se tordant, de la solitude scénique ! se tordant - se tordant : avec de mortelles angoisses les mimes deviennent sa proie et les séraphins sanglotent de ces dents d'un ver imbues de la pourpre humaine.

                      Terre de songe

Par une sombre route déserte, hantée de mauvais anges seuls, où une Idole, nommée Nuit, sur un trône noir debout règne, je ne suis arrivé en ces terres-ci que nouvellement d'une extrême et vague Thulé - d'un étrange et fatidique climat qui gît, sublime, hors de l'ESPACE, hors du TEMPS.

Insondables vallées et flots interminables, vides et souterrains et bois de Titans avec des formes qu'aucun homme ne peut découvrir à cause des rosées qui perlent au-dessus ; montagnes tombant à jamais dans des mers sans nul rivage ; mers qui inquiètement aspirent, y surgissant, aux cieux en feu ; lacs qui débordent inces- samment de leur eaux calmes - calmes et glacées de la neige des lys inclinés.

Par les lacs qui ainsi débordent de leurs eaux solitaires, solitaires et mortes - leurs eaux tristes, tristes et glacées de la neige des lys inclinés - par les montagnes - par les bois gris - par le marécage où s'installent le crapaud et le lézard - par les flaques et étangs lugubres - où habitent les Goules - en chaque lieu le plus décrié - dans chaque coin le plus mélan- colique : partout le voyageur rencontre effarées les Réminiscences drapées du Passé - formes ensevelies qui reculent et soupirent quand elles passent près du promeneur, formes au plis blancs d'amis rendus il y a longtemps, par l'agonie, à la Terre - et au Ciel.

Pour le coeur dont les maux sont Légion, c'est une pacifique et calmante Région. - Pour l'esprit qui marche parmi l'ombre, c'est - oh ! c'est Eldorado ! Mais le le voyageur, lui, qui voyage au travers, ne peut - n'ose pas la considérer ouvertement. Jamais ses mystères ne s'exposent au faible oeil humain qui ne s'est pas fermé ; ainsi le veut son Roi, qui a défendu d'y lever la paupière frangée ; et aussi l'âme en peine qui y passe, ne la contemple qu'à travers des glaces obscurcies.

Par une sombre route nue, hantée de mauvais anges seuls, où un Idole, nommée Nuit, sur un trône noir debout règne, j'ai erré avant de ne revenir que récemment de cette extrême et vague Thulé.

                      Le Corbeau

Une fois, par un minuit lugubre, tandis que je m'appesantissais, faible
et fatigué, sur maint curieux et bizarre volume de savoir oublié, tandis
que je dodelinais la tête, somnolant presque, soudain se fit un heurt,
comme de quelqu'un frappant doucement, frappant à la porte de ma
chambre, cela seul et rien de plus.

Ah! distinctement je me souviens que c'était en le glacial décembre : et chaque tison, mourant isolé, ouvrageait son spectre sur le sol. Ardemment je souhaitais le jour; vainement j'avais cherché d'emprunter à mes livres un sursis au chagrin - au chagrin de la Lénore perdue - de la rare et rayonnante jeune fille que les anges nomment Lénore - de nom! pour elle ici, non, jamais plus!

Et de la soie l'incertain et triste bruissement en chaque rideau purpural me traversait, m'emplissait de fantastiques terreurs pas senties encore : si bien que, pour calmer le battement de mon coeur, je demeurais maintenant à répéter : « C'est quelque visiteur qui sollicite l'entrée, à la porte de ma chambre; quelque visiteur qui sollicite l'entrée à la porte de ma chambre; c'est cela et rien de plus. »

Mon âme se fit subitement plus forte et, n'hésitant davantage : « Monsieur, dis-je, ou madame, j'implore véritablement votre pardon ; mais le fait est que je somnolais, et vous vîntes si doucement frapper, et si faiblement vous vîntes heurter, heurter à la porte de ma chambre, que j'étais à peine sûr de vous avoir entendu. » Ici j'ouvris grande la porte : les ténèbres et rien de plus.

Loin dans l'ombre regardant, je me tins longtemps à douter, m'étonner et craindre, à rêver des rêves qu'aucun mortel n'avait osé rêver encore ; mais le silence ne se rompit point et la quiétude ne donna de signe ; et le seul mot qui se dit, fut le mot chuchoté « Lénore! » Je le chuchotai et un écho murmura de retour le mot « Lénore! » purement cela et rien de plus.

Rentrant dans la chambre, toute l'âme en feu, j'entendis bientôt un heurt en quelque sorte plus fort qu'auparavant. « Sûrement, dis-je sûrement c'est quelque chose à la persienne de ma fenêtre. Voyons donc ce qu'il y a et explorons ce mystère ; que mon coeur se calme un moment et explore ce mystère ; c'est le vent et rien de plus. »

Au large je poussai le volet, quand, avec maints enjouement et agitation d’ailes, entra un majestueux corbeau des saints jours de jadis. Il ne fit pas la moindre révérence, il ne s’arrêta ni n’hésita un instant : mais, avec une mine de lord ou de lady, se percha au-dessus de la porte de ma chambre ; se percha sur un buste de Pallas, juste au-dessus de la porte de ma chambre ; se percha, siégea et rien de plus.

Alors cet oiseau d’ébène induisant ma triste imagination au sourire, par le grave et sévère décorum de la contenance qu’il eut : « Quoique ta crête soit chenue et rase, non! Dis-je, tu n’es pas, pour sûr, un poltron, spectral, lugubre et ancien Corbeau, errant loin du rivage de Nuit - dis-moi quel est ton nom seigneurial au rivage plutonien de Nuit. » Le Corbeau dit : « Jamais plus. »

Je m’émerveillai fort d’entendre ce disgracieux volatile s’énoncer aussi clairement, quoique sa réponse n’eût que peu de sens et peu d’à-propos ; car on ne peut s’empêcher de convenir que nul homme vivant n’eut encore l’heur de voir un oiseau au-dessus de la porte de sa chambre - un oiseau ou toute autre bête sur le buste sculpté au-dessus de la porte de sa chambre -, avec un nom tel que : « Jamais plus.»

Mais le Corbeau perché solitairement sur ce buste placide, parla ce seul mot comme si son âme, en ce seul mot, il la répandait. Je ne proférai donc rien de plus ; il n’agita donc pas de plume, jusqu’à ce que je fis à peine davantage que marmotter : « D’autres amis déjà ont pris leur vol, demain il me laissera comme mes espérances déjà ont pris leur vol.» Alors l’oiseau dit : « Jamais plus. »

Tressaillant au calme rompu par une réplique si bien parlée ; « Sans doute, dis-je ce qu’il profère est tout son fonds et son bagage, pris à quelque malheureux maître que l’impitoyable Désastre suivit de près et de très près suivit jusqu’à ce que ses chansons comportassent un unique refrain ; jusqu’à ce que les chants funèbres de son Espérance comportassent le mélancolique refrain de « Jamais - jamais plus. »

Le Corbeau induisant toute ma triste âme encore au sourire, je roulai soudain un siège à coussins en face de l’oiseau, et du buste, et de la porte ; et m’enfonçant dans le velours, je me pris à enchaîner songerie à songerie, pesant à ce que cet augural oiseau de jadis, à ce que ce sombre, disgracieux, sinistre, maigre, et augural oiseau de jadis signifiait en croissant : « Jamais plus. »

Cela, je m’assis occupé à le conjecturer, mais n’adressant pas une syllabe à l’oiseau dont les yeux de feu brûlaient, maintenant, au fond de mon sein ; cela et plus encore, je m’assis pour le devine, ma tête reposant à l’aise sur la housse de velours des coussins que dévorait la lumière de la lampe, housse violette de velours qu’Elle ne pressera plus, ah! jamais plus.

L’air, me sembla-t-il, devint alors que dense, parfumé selon un encensoir invisible balancé par les Séraphins dont le pied, dans la chute tintait sur l’étoffe du parquet. « Misérable! m’écriai-je, ton Dieu t’a prêté ; il t’a envoyé par ces anges le répit, le répit et le népenthès dans ta mémoire de Lénore! Bois! oh! bois ce bon népenthès et oublie cette Lénore perdue! » Le Corbeau dit : « Jamais plus! »

« Prophète, dis-je, être de malheur! prophète, oui, oiseau ou démon! Que si le Tentateur t’envoya ou la tempête t’échoua vers ces bords, désolé et encore tout indompté, vers cette déserte terre enchantée, vers ce logis par l’horreur hanté : dis-moi véritablement, je t’implore! y a-t-il du baume en Judée? Dis-moi, je t’implore. » Le Corbeau dit : « Jamais plus! »

« Prophète, dis-je, être de malheur! prophète, oui, oiseau ou démon! Par les cieux sur nous épars, et le Dieu que nous adorons tous deux, dis à cette âme de chagrin chargée si, dans le distant Eden, elle doit embrasser une jeune fille sanctifiée que les anges nomment Lénore - embrasser une rare et rayonnante jeune fille que les anges nomment Lénore. » Le Corbeau dit : « Jamais plus! »

« Que ce mot soit le signal de notre séparation, oiseau ou malin esprit » hurlai-je en me dressant. « Recule en la tempête et le rivage plutonien de Nuit! Ne laisse pas une plume noire ici comme un gage du mensonge qu’a proféré ton âme. Laisse inviolé mon abandon! quitte le buste au-dessus de ma porte! ôte ton bec de mon coeur et jette ta forme loin de ma porte! » Le Corbeau dit : « Jamais plus! »

Et le Corbeau, sans voleter, siège encore, siège encore sur le buste pallide de Pallas, juste au-dessus de la porte de ma chambre, et ses yeux ont toute la semblance des yeux d’un démon qui rêve, et la lumière de la lampe, ruisselant sur lui, projette son ombre à terre : et mon âme, de cette ombre qui gîte flottante à terre ne s’élèvera - jamais plus.

                                 Eulalie

J'habitais seul un monde de plaintes, et mon âme était une onde
stagnante, avant que la claire et gentille Eulalie devînt ma rougissante
épousée, avant qu'avec les cheveux dorés la jeune Eulalie devînt ma
souriante épousée

Ah! non -- moins brillantes les étoiles de la nuit que les yeux de la
radieuse fille! et jamais flocon que la vapeur peut faire avec les teintes
pourpre et de nacre de la lune, ne peut valoir en la modeste Eulalie
la plus négligée de ses tresses! ne peut se comparer en Eulalie les yeux
brillants à la plus humble et la plus insoucieuse de ses tresses

Maintenant le Doute, maintenant la Peine, ne reviennent pas, car son
âme me donne soupir pour soupir ; et, tout le long du jour, luit, brillante
et forte, Astarté dans le ciel, pendant que toujours, sur elle, la chère
Eulalie lève son oeil de jeune femme ; pendant que toujours sur elle
la jeune Eulalie lève les violettes de son oeil.

         Pour la Saint-Valentin

Ces vers sont écrits pour celle dont les yeux lumineux,
Aussi brillamment expressifs que les jumeaux de Léda,
Trouveront son tendre nom niché au creux
De cette page, masqué à tout lecteur.
Fouillez attentivement ce morceau, qui contient un trésor
Divin -- un talisman -- une amulette
Qui sur le coeur se doit porter. Scrutez bien la mesure,
Les mots, les lettres elles-mêmes. N'omettez pas
Le plus futile détail ; votre peine sinon serait perdue.
Pourtant il n'y a pas, ici, de noeud Gordien,
Qu'on ne saurait trancher sans coup de sabre,
Si l'on entend seulement le secret dessein.
Enchâssé dans les mots de cette page que scrutent
Des yeux impatients, gît, perdu, dis-je
Un nom familier, souvent prononcé, à portée
Des poètes, par des poètes : car le nom est celui d'un poète aussi.
Ses lettres, bien qu'elles mentent naturellement
Comme le chevalier Pinto (Mendez Ferdinando),
Sont pourtant synonymes de Vérité. Ne cherchez plus!
Vous ne résoudrez pas l'énigme, même en faisant de votre mieux

                                 A M.L.S.

De tous ceux qui saluent ta présence comme le matin - de tous ceux pour qui ton absence est la nuit - le total effacement du sacré soleil dans le haut ciel, - de tous ceux qui, pleurant, te bénissent journellement à cause de l'espoir - de la vie - ah ! surtout de la résurrection de la foi au fond d'eux ensevelie - cela en vérité - en vertu - en humanité, - de tous ceux qui, sur le lit inconsacré du Désespoir gisant pour mourir, se sont soudainement levés à tes paroles murmurées doucement " Que la lumière soit ! " - à tes paroles murmurées doucement qui eurent pour accomplissement le séraphique élan de tes yeux, - de tous ceux qui te doivent le plus - dont la gratitude de plus près ressemble au culte - oh ! rappelle-toi le plus vrai - le plus fervemment dévoué, et pense que ces faibles lignes sont écrites par lui - par lui qui, comme il les trace, tressaille de penser que son esprit est en communion avec celui d'un ange.

                                 Ulalume

Les cieux, ils étaient de cendre et graves ; les feuilles, elles étaient crispées et mornes - les feuilles, elles étaient périssables et mornes. C'était nuit en le solitaire Octobre de ma plus immémoriale année. C'était fort près de l'obscur lac d'Auber, dans la brumeuse moyenne région de Weir - c'était là près de l'humide marais d'Auber, dans le bois hanté par les goules de Weir.

Ici, une fois, à travers une allée titanique de cyprès, j'errais avec mon âme ; - une allée de cyprès avec Psyché, mon âme. C'était aux jours où mon coeur était volcanique comme les rivières scoriaques qui roulent - comme les laves qui roulent instablement leurs sulfureux courants en bas de l'Yanek, dans les climats extrêmes du pôle - qui gémissent tandis qu'elles roulent en bas du mont Yanek dans les régions du pôle boréal.

Notre entretien avait été sérieux et grave : mais, nos pensées, elles étaient paralysées et mornes, nos souvenirs étaient traîtres et mornes - car nous ne savions pas que le mois était Octobre et nous ne remarquions pas la nuit de l'année (ah ! nuit de toutes les nuits de l'année !) ; nous n'observions pas l'obscur lac d'Auber, - bien qu'une fois nous ayons voyagé par là, - nous ne nous rappelions pas l'humide marais d'Auber, ni le pays de bois hanté par les goules de Weir.

Et maintenant, comme la nuit vieillissait et que le cadran des étoiles indiquait le matin, - à la fin de notre sentier un liquide et nébuleux éclat vint à naître, hors duquel un miraculeux croissant se leva avec une double corne - le croissant diamanté d'Astarté distinct avec sa double corne.

Et je dis : « Elle est plus tiède que Diane ; elle roule à travers un éther de soupirs : elle jubile dans une région de soupirs, - elle a vu que les larmes ne sont pas sèches sur ces joues où le ver ne meurt jamais et elle est venue passé les étoiles du Lion pour nous désigner le sentier vers les cieux - vers la léthéenne paix des cieux ; - jusque-là venue en dépit du Lion, pour resplendir sur nous de ses yeux brillants - jusque- là venue à travers l'antre du Lion, avec l'amour dans ses yeux lumineux. »

Mais Psyché, élevant son doigt, dit : « Tristement, de cette étoile je me défie, - de sa pâleur, étrangement, je me défie. Oh ! hâte-toi ! Oh ! ne nous attardons pas ! Oh ! fuis - et fuyons, il le faut. » Elle parla dans la terreur, laissant s'abattre ses plumes jusqu'à ce que ses ailes traînassent en la poussière - jusqu'à ce qu'elles traînèrent tristement dans la poussière.

Je répliquai : « Ce n'est rien que songe : conti- nuons par cette vacillante lumière ! baignons-nous dans cette cristalline lumière ! Sa splendeur sibylline rayonne d'espoir et de beauté, cette nuit : - vois, elle va, vibrante, au haut du ciel à travers la nuit ! Ah ! nous pouvons, saufs, nous fier à sa lueur et être sûrs qu'elle nous conduira bien, - nous pouvons, saufs, nous fier à une lueur qui ne sait que nous guider à bien, puisqu'elle va, vibrante, au haut des cieux à travers la nuit. »

Ainsi je pacifiai Psyché et la baisai, et tentai de la ravir à cet assombrissement, et vainquis ses scrupules et son assombrissement ; et nous allâmes à la fin de l'allée, où nous fûmes arrêtés par la porte d'une tombe ; par la porte, avec sa légende, d'une tombe, et je dis : « Qu'y a-t-il d'écrit, douce soeur, sur la porte, avec une légende, de cette tombe ? » Elle répliqua : « Ulalume ! Ulalume ! C'est le caveau de ta morte Ulalume ! »

Alors mon coeur devint de cendre et grave, comme les feuilles qui étaient crispées et mornes, - comme les feuilles qui étaient périssables et mornes, et je m'écriai : « Ce fut sûrement en Octobre, dans cette même nuit de l'année dernière, que je voyageai - je voyageai par ici, - que j'apportai un fardeau redoutable jusqu'ici : - dans cette nuit entre toutes les nuits de l'année, ah ! quel démon m'a tenté vers ces lieux ? Je connais bien, main- tenant, cet obscur lac d'Auber - cette brumeuse moyenne région de Weir : je connais bien, maintenant, cet obscur lac d'Auber - cette brumeuse moyenne région de Weir : je connais bien, maintenant, cet humide marais d'Auber, et ces pays de bois hantés par les goules de Weir ! »

                            Enigme

« Rarement dit Salomon, Prince ses sots, on trouve
La moitié d'une idée dans le sonnet le plus profond.
A travers toutes ces fariboles, on peut voir, pour le coup,
Aussi bien qu'à travers un bonnet de Naples,
Suprême pacotille ! Comment donc une dame peut-elle coiffer ça ?
Pacotille plus lourde pourtant que tous vos pétrarquismes
Fadaises en vrai duvet de chouette que la moindre risée et la moindre risette
Frise en papillotte lors même que vous les parcourez. »
En vérité ce bon vieux Salomon n'a pas tort.
Toutes ces tuckermanités ne sont que bulles
- Ephémères et si transparentes -
Mais pourtant ceci, comptez-y, est
Stable, opaque, immortel ; tout cela grâce
Aux chers noms qui s'y cachent.

                           A M.L.S.

Il n'y a pas longtemps, l'auteur de ces lignes, dans dans un fol orgueil d'intellectualité, maintenait " la puissance des mots " - niait que jamais pensée surgît dans le cerveau humain, supérieure à son énonciation par la langue humaine. Et, maintenant comme par une moquerie de cette jactance, deux mots - deux doux dissyllabes étrangers, musique italienne, faits seulement pour être murmurés par des anges, au clair de lune, rêvant d' " une rosée qui pend comme des liens de perles de la colline d'Hermon " - ont suscité de l'abîme de son coeur des pensées comme il ne s'en place point et qui sont l'âme de la pensée ; de plus riches, de bien plus étranges, de bien plus divines visions que le séraphique harpiste Israfel même (qui a " la plus suave voix de toutes les créatures de Dieu ") ne saurait prétendre énoncer. Et moi ! mes charmes sont rompus : la plume tombe impuissante de ma main qui vacille. Avec ton cher nom pour texte, je ne puis, quoique commandé par toi, écrire - ne puis parler ou penser - hélas ! je ne puis sentir ; car ce n'est point sentir, cette immobile station sur le seuil d'or de la grille grande ouverte des rêves, à considérer, extasié, le fond de la somptueuse allée : et, frémissant de ne voir, à droite, à gauche et le long de la voie, parmi les vapeurs empourprées, tout au loin où la perspective se termine - que Toi.

                      Les Cloches

Entendez les traîneaux à cloches - cloches d'argent ! Quel monde d'amusement annonce leur mélodie ! Comme elle tinte, tinte, tinte, dans le glacial air de nuit ! tandis que les astres qui étincellent sur tout le ciel semblent cligner, avec cristalline délice, de l'oeil : allant, elle, d'accord (d'accord, d'accord) en une sorte de rythme runique, avec la " tintinnabulisation " qui surgit si musicalement des cloches (des cloches, cloches, cloches, cloches, cloches, cloches) : du cliquetis et du tintement des cloches.

Entendez les mûres cloches nuptiales, cloches d'or ! Quel monde de bonheur annonce leur harmonie ! à travers l'air de nuit embaumé, comme elles sonnent partout leur délice ! Hors des notes d'or fondues, toutes ensemble, quelle liquide chanson flotte pour la tourte- relle, qui écoute tandis qu'elle couve de son amour la lune ! Oh ! des sonores cellules quel jaillissement d'euphonie sourd volumineusement ! qu'il s'enfle, qu'il demeure parmi le Futur ! qu'il dit le ravissement qui porte au branle et à la sonnerie des cloches (cloches, cloches - des cloches, cloches, cloches, cloches), au rythme et au carillon des cloches !

Entendez les bruyantes cloches d'alarme - cloches de bronze ! Quelle histoire de terreur dit maintenant leur turbulence ! Dans l'oreille saisie de la nuit comme elles crient leur effroi ! Trop terrifiées pour parler, elles peuvent seulement s'écrier hors de ton, dans une clameur d'appel à merci du feu, dans une remontrance au feu sourd et frénétique bondissant plus haut (plus haut, plus haut), avec un désespéré désir ou une recherche résolue, maintenant, de maintenant siéger, ou jamais, aux côtés de la lune à la face pâle. Oh ! les cloches (cloches, cloches), quelle histoire dit leur terreur - de Désespoir ! Qu'elles frappent et choquent, et rugissent ! Quelle horreur elles versent sur le sein de l'air palpitant ! encore l'ouïe sait-elle, pleinement, par le tintouin et le vacarme, comment tourbillonne et s'épanche le danger ; encore l'ouïe dit-elle, distinctement, dans le vacarme et la querelle, comment s'abat ou s'enfle le danger, à l'abattement ou à l'enflure dans la colère des cloches, dans la clameur et l'éclat des cloches !

Entendez le glas des cloches - cloches de fer ! Quel monde de pensée solennelle comporte leur monodie ! Dans le silence de la nuit que nous frémissons de l'effroi ! à la mélancolique menace de leur ton. Car chaque son qui flotte, hors la rouille en leur gorge - est un gémissement. Et le peuple - le peuple - ceux qui demeurent haut dans le clocher, tous seuls, qui sonnant (sonnant, sonnant) dans cette monotonie voilée, sent une gloire à ainsi rouler sur le coeur humain une pierre - ils ne sont ni homme ni femme - ils ne sont ni brute ni humain - ils sont des Goules : et leur roi, ce l'est, qui sonne ; et il roule, (roule - roule) roule un Péan hors des cloches ! Et son sein content se gonfle de ce Péan des cloches ! et il danse, et il danse, et il hurle : allant d'accord (d'accord, d'accord) en une sorte de rythme runique, avec le tressaut des cloches - (des cloches, cloches, cloches) avec le sanglot des cloches ; allant d'accord (d'accord, d'accord) dans le glas (le glas, le glas) en un heureux rythme runique, avec le roulis des cloches - (des cloches, cloches, cloches), avec la sonnerie des cloches - (des cloches, cloches, cloches, cloches, cloches - cloches, cloches, cloches) - le geigne- ment et le gémissement des cloches.

                             A Hélène

Je te vis une fois - une seule fois - il y a des années : combien, je ne le dois pas dire, mais peu. C'était un minuit de Juillet ; et hors du plein orbe d'une lune qui, comme ton âme même s'élevant, se frayait un chemin précipité au haut du ciel, tombait de soie et argenté un voile de lumiere, avec quiétude et chaud accablement et sommeil, sur les figures levées de mille roses qui croissaient dans un jardin enchanté, où nul vent n'osait bouger, si ce n'est sur la pointe des pieds ; - il tombait sur les figures levées de ces roses qui rendaient, en retour de la lumière d'amour, leurs odorantes âmes en une mort extatique ; - il tombait sur les figures levées de ces roses qui souriaient et mouraient en ce parterre, enchanté - par toi et par la poésie de ta présence. Tout de blanc habillée, sur un banc de violette, je te vis à demi-gisante, tandis que la lune, tombait sur les figures levées de ces roses, et sur la tienne même, levée, hélas ! dans le chagrin.

N'était-ce pas la destinée, qui, par ce minuit de juillet, - n'était-ce pas la destinée, dont le nom est aussi chagrin, - qui me commanda cette pause devant la grille du jardin pour respirer l'encens de ses sommeil- lantes roses ? Aucun pas ne s'agitait : le monde détesté tout entier dormait, excepté seulement toi et moi (oh ! cieux ! - oh ! Dieu ! comme mon coeur bat d'accoupler ces deux noms !), excepté seulement toi et moi. - Je m'arrêtai, - je regardai, - et en un instant toutes choses disparurent. (Ah ! - aie en l'esprit ceci que le jardin était enchanté !) Le lustre perlé de la lune s'en alla : les bancs de mousse et le méandre des sentiers, les fleurs heureuses et les gémissants arbres ne se firent plus voir : des roses mêmes l'odeur mourut dans les bras des airs adorateurs. Tout, - tout expira, sauf toi, sauf moins que toi, sauf seulement la divine lumière en tes yeux, sauf rien que l'âme en tes yeux levés. Je ne vis qu'eux ; - ils étaient le monde pour moi. Je ne vis qu'eux, - les vis seulement pendant des heures, - les vis seulement jusqu'alors que la lune s'en alla. Quelles terribles histoires du coeur semblèrent inscrites sur ces cristallines, célestes sphères ! Quelle mer silencieuse- ment sereine d'orgueil ! Quelle ambition osée ! pourtant quelle profonde, quelle insondable puissance pour l'amour !

Mais voici qu'à la fin la chère Diane plongea hors de la vue dans la couche occidentale d'un nuage de foudre : et toi, fantôme, parmi le sépulcre des arbres, te glissas au loin. Tes yeux seulement demeurèrent. Ils ne voulurent pas partir ; - ils ne sont jamais partis encore !

Eclairant ma route solitaire à la maison cette nuit- là, ils ne m'ont pas quitté (comme firent mes espoirs) depuis. Ils me suivent, ils me conduisent à travers les années. Ils sont mes ministres ; pourtant je suis leur esclave. Leur office est d'illuminer et d'embraser ; - mon devoir, d'être sauvé par leur brillante lumière, et purifié dans leur feu électrique, et sanctifié dans leur feu élyséen. Ils emplissent mon âme de beauté (qui est espoir), et sont loin, au haut des cieux, - les étoiles devant qui je m'agenouille dans les tristes, taciturnes veilles de ma nuit ; tandis que, même dans le rayonne- ment méridien du jour, je les vois encore, - deux suaves, scintillantes Vénus, inextinguibles au soleil.

           Un rêve dans un rêve

Tiens ! ce baiser sur ton front! et, à l'heure où je te quitte, oui, bien haut, que je te l'avoue : tu n'as pas tort, toi qui juges que mes jours ont été un rêve ; et si l'espoir s'est enfui en une nuit ou en un jour - dans une vision ou aucune, n'en e st-il pour cela pas moins passé ? Tout ce que nous voyons ou paraissons, n'est qu'un rêve dans un rêve.

Je reste en la rumeur d'un rivage par le flot tourmenté et tiens dans la main des grains du sable d'or - bien peu ! encore comme ils glissent à travers mes doigts à l'abîme, pendant- que je pleure - pendant que pleure ! O Dieu ! ne puis-je les serrer d'une étreinte plus sûre ? O Dieu ! ne puis-je en sauver un de la vague impitoyable ? Tout ce que nous voyons ou paraissons, n'est-il qu'un rêve dans un rêve ?

                             Eldorado

Gaiement accoutré, un galant chevalier, au soleil et par les ténèbres,
avait longtemps voyagé, chantant une chanson, à la recherche de l'Eldorado.

Mais il se fit vieux, ce chevalier si hardi, et sur son coeur tomba une ombre
comme il ne trouvait aucun endroit de la terre qui ressemblât à l'Eldorado.

Et, quand sa force défaillit à la longue, il recontra une ombre pèlerine.
« Ombre, dit-il, où peut être cette terre d'Eldorado? »

« Par-delà les montagnes de la lune, et au fond de la vallée de l'ombre,
chevauche hardiment, répondit l'ombre, si tu cherches l'Eldorado. »

                            Pour Annie

Grâce au ciel ! la crise - le danger est passé, et le traînant malaise loin enfin - et la fièvre appelée " Vivre " est vaincue enfin.

C'est tristesse, je le sais, que d'être dénué de ma force, et je ne meus pas un muscle, moi qui gis tout de mon long - mais n'importe ! Je sens que je suis mieux à la longue.

Et je reste si posément maintenant dans mon lit, qu'un spectateur pourrait s'imaginer ma mort, pourrait tressaillir au spectacle, me croyant mort.

Geignement et gémissement - le soupir, le sanglot - sont maintenant apaisés, avec cet horrible battement du coeur : - ah ! cet horrible, horrible battement !

Le malaise - la nausée - l'impitoyable douleur - ont cessé, avec la fièvre et sa démence au cerveau - avec la fièvre appelée " Vivre " qui brûlait dans mon cerveau.

Oh ! et de toutes tortures - cette torture, la pire, s'est abattue - la terrible torture de la soif pour le fleuve bitumineux de passion maudite : - j'ai bu d'une eau qui étanche toute soif -

D'une eau qui coule avec des syllabes endormantes hors d'une source rien qu'à très-peu de pieds sous terre - hors d'une caverne pas très-avant située sous la terre.

Ah ! et que jamais on ne dise - sottement - que ma chambre est obscure, ni étroit mon lit ; car homme n'a jamais dormi dans un lit différent - et, pour dormir, vous aurez juste à sommeiller dans un tel lit.

Mon esprit à la Tantale ici se repose agréablement, oubliant ou ne regrettant jamais ses roses - ses vieilles agitations de myrtes et de roses :

Car voici que, tout en gisant dans sa quiétude, il imagine une odeur plus sainte, alentour, de violettes - une odeur de romarin, entremêlé avec les violettes - avec de la rue et les belles violettes puritaines.

Il gît ainsi, heureusement, baigné - par maint songe de la constance et de la beauté d'Annie - noyé dans un bain des tresses d'Annie.

Tendrement elle m'embrassa : affectueusement me caressa, et je tombai alors doucement pour dormir sur son sein - dormir profondément à cause des cieux de son sein.

A l'extinction de la lumière, elle me couvrit chaudement et elle pria les anges de me garder de tout mal - la reine des anges de me parer de tout mal.

Et je gis si posément, maintenant, dans mon lit (connaissant son amour) que vous vous imaginez ma mort - et je demeure si satisfait, maintenant, dans mon lit (avec son amour en mon sein) que vous vous imaginez ma mort, que vous frémissez de me regarder, me croyant mort.

Mais pour mon coeur - il est plus brillant - que toutes les multiples étoiles du ciel - car il scintille par Annie - il s'allume à la lumière de l'amour de mon Annie- à la pensée de la lumière des yeux de mon Annie.

                            A ma mère

Parce que je sens que, là-haut, dans les Cieux, les anges l'un à l'autre se parlant bas, ne peuvent, parmi leurs termes brûlants d'amour, en trouver un d'une dévotion pareille à celui de " Mère " ; en conséquence, je vous ai dès longtemps de ce nom appelée, vous qui êtes plus qu'une mère pour moi et remplissez le coeur de mon coeur, où vous installa la Mort en affranchissant l'esprit de ma Virginie. Ma mère - ma propre mère, qui mourut tôt n'était que ma mère, à moi ; mais vous êtes la mère de Celle que j'ai si chèrement aimée ; et m'êtes ainsi plus chère que la mère que j'ai connue, de cet infini dont ma femme était plus chère à mon âme, qu'à cette âme sa vie.

                      Annabel Lee

Il y a mainte et mainte année, dans un royaume près de la mer, vivait une jeune fille, que vous pouvez connaître par son nom d'ANNABEL LEE, et cette jeune fille ne vivait avec aucune autre pensée que d'aimer et d'être aimée de moi.

J'étais un enfant, et elle était un enfant, dans ce royaume près de la mer; mais nous nous aimions d'un amour qui était plus que de l'amour - moi et mon ANNABEL LEE; d'un amour que les séraphins ailés des Cieux convoitaient à elle et à moi.

Et ce fut la raison qu'il y a longtemps un vent souffla d'un nuage, glaçant ma belle ANNABEL LEE; de sorte que ses proches de haute lignée vinrent et me l'enlevèrent, pour l'enfermer dans un sépulcre, en ce royaume près de la mer.

Les anges, pas à moitié si heureux aux cieux, vinrent, nous enviant, elle et moi. Oui! ce fut la raison (comme tous les hommes le savent dans ce royaume près de la mer) pourquoi le vent sortit du nuage la nuit, glaçant et tuant mon ANNABEL LEE.

Car la lune jamais ne rayonne sans m'apporter des songes de la belle ANNABEL LEE; et les étoiles jamais ne se lèvent que je ne sente les yeux brillants de la belle ANNABEL LEE; et ainsi, toute l'heure de nuit, je repose à côté de ma chérie - de ma chérie -, ma vie et mon épouse, dans ce sépulcre près de la mer, dans sa tombe près de la bruyante mer.

Mais, pour notre amour, il était plus fort de tout un monde que l'amour de ceux plus âgés que nous; de plusieurs de tout un monde plus sages que nous, et ni les anges là-haut dans les cieux, ni les démons sous la mer, ne peuvent jamais disjoindre mon âme de l'âme de la très belle ANNABEL LEE.

                                 « Coll. Bouquins », Robert Laffont

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