Poésies diverses  -  François Villon
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  1. Ballade de bon conseil
  2. Ballade des proverbes
  3. Ballade des menus propos
  4. Ballade des contre vérités
  5. Ballade contre les ennemis de la France
  6. Rondeau
  7. Ballade du concours de Blois
  8. Épître à Marie d'Orléans
  9. Épître à ses amis
  10. Requeste à Monseigneur de Bourbon
  11. Le débat du cuer et du corps de Villon
  12. Problème [Ballade de la Fortune]
  13. Quatrain
  14. Ballade des pendus (L'Epitaphe Villon)
  15. Louenge à la court
  16. Question au clerc du guichet [Ballade de l'appel]

Ballade de bon conseil

Hommes failliz, bersaudez de raison,
Desnaturez et hors de congnoissance,
Desmis du sens, comblez de desraison,
Folz abusez, plains de descongnissance,
Qui procurez contre vostre naissance,
Vous subzmettans a detestable mort
Par lascheté, las ! Que ne vous remort
L'orribleté qui a honte vous maine ?
Voyez comment maint jeunes homs est mort
Par offenser et prendre autruy demaine.

Chascun en soy voye sa mesprison !
Ne nous vengons, prenons en pacïence :
Nous cognoissons que ce monde est prison
Aux vertureux franchis d'impacïence.
Batre, rouiller, pour ce n'est pas scïence ;
Tollir, ravir, piller, meurtrier a tort :
De Dieu ne chault, trop de verité se tort
Qui en telz faitz sa jeunesse demaine,
Dont a la fin ses poins doloreux tort,
Par offenser et prendre autruy demaine.

Que vault piper, flater, rire en trayson,
Quester, mentir, affermer sans fïance,
Farcer, tromper, artifier poison,
Vivre en peché, dormir en deffïance
De son prouchain sans avoir confïance ?
Pour ce conclus : de bien faisons effort,
Reprenons cueur, ayons en Dieu confort ;
Nous n'avons jour certain en la sepmaine.
De noz maulx ont noz parens le ressort,
Par offenser et prendre autruy demaine.

Vivons en paix, exterminons discort ;
Ieunes et vieulx, soyons tous d'ung accort :
La loy le veut, l'appostre ramaine
Licitement en l'epistre rommaine.
Ordre nous fault, estat ou aucun port.
Nottons ces poins, ne laissons le vray port,
Par offensser et prendre autruy demaine.

Ballade des proverbes

Tant grate chievre que mau gist ;
Tant va le pot a l'eaue qu'il brise;
Tant chauf'on le fer qu'il rougist,
Tant le maill'on qui qu'il se debrise ;
Tant vault l'omme comme on le prise,
Tant s'esloigne il qu'il n'en souvient,
Tant mauvais est qu'on le desprise ;
Tant crie l'on Noël qu'il vient.
 
Tant parl'on qu'on se contredit ;
Tant vault bon bruyt que grace acquise ;
Tant promest on qu'on se desdit ;
Tant pri'on que chose est acquise,
Tant plus est chere, et plus est quise,
Tant la quiert on qu'on y parvient,
Tant plus est commune, et mains requise ;
Tant crye l'on Noël qu'il vient.
 
Tant ayme on chien qu'on le nourrist ;
Tant court chanson qu'elle est aprise ;
Tant gard'on fruit qu'il se pourrist ;
Tant bat on place qu'elle prise ;
Tant tarde on que fault entriprise ;
Tant se haste on que mal advient ;
Tant embrasse on que chiet la prise ;
Tant crye l'on Noël qu'il vient.
 
Tant raille on que plus n'en rit ;
Tant despend on qu'on n'a chemise ;
Tant est on franc que tout s'il frit ;
Tant vault «tien » que chose promise ;
Tant ayme on Dieu qu'on suyt l'eglise;
Tant donne on qu'emprunter convient;
Tant tourne vent qu'il chiet en bise;
Tant crye l'on Noël qu'il vient.
 
Prince, tant vit fol qu'il s'avise,
Tant va il qu'aprés il revient,
Tant le mate on qu'il se ravise ;
Tant crye l'on Noël qu'il vient.

Ballade des menus propos

Je congnois bien mousches en laict,
Je congnois a la robe l'homme,
Je congnois le beau temps du lait,
Je congnois au pommier la pomme,
Je congnois l'arbre a veoir la gomme,
Je congnois quant tout est de mesmes,
Je congnois qui besoigne ou chomme,
Je congnois tout fors que moy mesmes.

Je congnois pourpoint au colet,
Je congnois le moyne a la gonne,
Je congnois le maistre au varlet,
Je congnois au voile la nonne,
Je congnois quant parleur gergonne,
Je congnois fols nourris de cresmes,
Je congnois le vin a la tonne,
Je congnois tout fors que moy mesmes.

Je congnois cheval et mulet,
Je congnois leur charges et leur somme,
Je congnois Bietrix et Belet,
Je congnois gect qui nombre assomme,
Je congnois visïon et somme,
Je congnois la faulte des Boesmes,
Je congnois le pouoir de Romme,
Je congnois tout fors que moy mesmes.

Prince, je congnois tout en somme,
Je congnois colorez et blesmes,
Je congnois Mort, qui tout consomme,
Je congnois tout fors que moy mesmes.

Ballade des contre vérités

Il n'est soing que quant on a fain
Ne service que d'ennemy
Ne mascher qu'ung botel de faing
Ne fort guet que d'homme endormy
Ne clemence que felonnie
N'asseurence que de peureux
Ne foy que d'hommes qui regnye
Ne bien conseillé qu'amoureux.

Il n'est engendrement qu'un boing
Ne bon bruit que d'homme benny
Ne riz qu'aprés ung cop de poing
Ne lotz que debtes mectre en ny
Ne vraye amour qu'en flaterye
N'encontre que de maleureux
Ne vray rapport que menterye
Ne bien conseillé qu'amoureux.

Ne tel repos que vivre en soig
N'oneur porter que dire fy
Ne soy vanter que de faulx coing
Ne santé que d'homme bouffy
Ne hault vouloir que couardye
Ne conseil que de furïeulx
Ne doulceur qu'en femme estoudye
Ne bien conseillé qu'amoureux.

Voulez vous que verté vous dye ?
Il n'est jouer qu'en maladie
Letre vraye que tragedye
Lasche homs que chevalereux
Orrible son que melodye,
Ne bien conseillé qu'amoureux.

Ballade contre les ennemis de la France

Rencontré soit des bestes feu gectans
Que Jason vit, querant la toison d'or,
Ou transmué d'omme en beste sept ans
Ainsi que fut Nabougodonosor,
Ou il ait guerre et perte aussi villaine
Que Troies ot pour la prise d'Elayne,
Ou mis de fait soit avec Tantalus
Et Proserpine es infernaulx palus,
Ou plus que Job soit en griefve souffrance,
Tenant prison en la tour Dedalus,
Qui mal voudroit au royaume de France !

Quatre mois soit en ung vivier chantans,
La teste au fons ainsi que le butor,
Ou au Grant Turcq vendu deniers contans
Pour estre mis au harnoys comme ung tor,
Ou trente ans soit, comme Magdelaine,
Sans drap vestir de linge ne de layne,
Ou soit noié comme fut Narcisus,
Ou aux cheveulx, comme Absalon pendus
Ou com Judas fut par Desesperance,
Ou puist mourir comme Simon Magus,
Qui mal voudroit au royaume de France !

D'Octovïen puist revenir le temps,
C'est qu'on luy coulle ou ventre son tresor,
Ou qu'il soit mis entre meulles flotans
En ung moulin, comme fut saint Victor,
Ou transglouty en la mer, sans alaine,
Pis que Jonas ou corps d'une baleine,
Ou soit bany de la clarté Phebus,
Des biens Juno et du solas Venus,
Et du dieu Mars soit pugny a oultrance
Ainsy que fut roy Sardanapalus,
Qui mal voudroit au royaume de France !

Prince, porté soit des serfs Yolus
En la forest ou domine Gloucus
Et soit privé soit de paix et d'esperance,
Car digne n'est de possider vertus
Qui mal voudroit au royaume de France !

Rondeau

Jenin l'Avenu,
Va-t-en aux estuves;
Et toy la venu,
Jenin l'Avenu,

Si te lave nu
Et tu baigne es cuves.
Jenin l'Avenu,
Va-t-en aux estuves.

Ballade du concours de Blois

Je meurs de seuf auprés de la fontaine,
Chault comme feu et tremble dent a dent,
En mon pays suis en terre loingtaine,
Lez ung brasier frisonne tout ardent,
Nu comme ung ver, vestu en president,
Je riz en pleurs et attens sans espoir,
Confort reprens en triste desespoir,
Je m'esjoys et n'ay plasir aucun,
Puissant je suis sans force et sans pouoir,
Bien recueully, debouté de chascun.

Riens ne m'est seur que la chose incertaine,
Obsucur fors ce qui est tout evident,
Doubte ne fais fors en chose certaine,
Scïence tiens a soudain accident,
Je gaigne tout et demeure perdent,
Au point du jour diz «Dieu vous doint bon soir ! »,
Gisant envers j'ay grand paeur de chëoir,
J'ay bien de quoy et si n'en ay pas ung,
Eschoicte actens et d'omme ne suis hoir,
Bien recueully, debouté de chascun.

De rien n'ay soing, si mectz toute m'atayne
D'acquerir biens et n'y suis pretendent,
Qui mieulx me dit, c'est cil qui plus m'actaine,
Et qui plus vray, lors plus me va bourdent,
Mon ami est qui me faict entendent
D'ung cigne blanc que c'est ung corbeau noir,
Et qui me nuyst, croy qu'i m'ayde a pourvoir,
Bourde, verté, au jour d'uy m'est tout ung,
Je retiens tout, rien ne sçay concepvoir,
Bien recueully, debouté de chascun.

Prince clement, or vous plaise sçavoir
Que j'entens moult et n'ay sens ne sçavoir;
Parcïal suis, a toutes loys commun.
Que sais je plus ? Quoy ! les gaiges ravoir,
Bien recueully, debouté de chascun.

Epître à Marie D'Orléans
Dit de la naissance Marie d'Orléans.

Jam nova progenies celo demittitur alto.
I
O louee conceptïon
Envoiee sa jus des cieulx,
Du noble lis digne sÿon,
Don de Jhesus tres precïeulx
Marie, nom tres gracïeulx,
Fons de pitié, source de grace,
La joye, confort de mes yeulx,
Qui nostre paix batist et brasse !
II
La paix, c'est assavoir des riches,
Des povres le substantament,
Le rebours des felons et chiches ;
Tres necessaire enfantement,
Conceu, porté honnestement,
- Hors le pechié originel -
Que dire je puis sainctement,
Souverain bien de Dieu eternel.
 
III
Nom recouvré, joye de peuple,
Confort des bons, des maulx retraicte,
Du doulx seigneur premiere et seule
Fille de son cler sang extraicte,
Du dextre costé Clovis traicte,
Glorïeuse ymage en tous fais,
Ou hault ciel cree et pourtaicte
Pour esjouÿr et donner paix.
IV
En l'amour et craint de Dieu
Es nobles flancs Cesar conceue,
Des petis et grans en tout lieu
A tres grande joye receue,
De l'amour Dieu traicte et issue
Pour les discordez ralïer
Et aux encloz donner yssue,
Leurs lïans et fers deslïer !
V
Aucunes gens, qui bien peu sentent,
Nourriz en simplesse et confiz,
Contre le vouloir Dieu attentent,
Par ignorance desconfiz,
Desirans que feussiez ung filz ;
Mais qu'ainsy soit, ainsi m'aist Dieux
Je croy que ce soit grans proufiz ;
Raison : Dieu fait tout pour le mieulx.
VI
Du Psalmiste je prens les dictz :
Delectasti me, Domine,
In factura tua, si diz :
Noble enfant, de bonne heure né,
A toute doulceur destiné,
Manna du Ciel, celeste don,
De tous bienfaits le guerdonné
Et de noz maulx le vray pardon.
Double Ballade
Combien que j'ay leu en ung dit :
Inimicum putes,  y a,
Qui te presentem laudabit,
Toutesfois, non obsant cela,
Oncques vray homme ne cela
En son courage aucun grant bien
Qui ne le montrast ça et la :
On doit dire du bien le bien.
 
Saint Jehan Baptiste ainsy le fist,
Quant l'Aignel de Dieu descela ;
En ce faisant pas ne mesfist,
Dont sa voix es tourbes vola,
De quoy saint Andry Dieu loua,
Qui de lui cy ne sçavoit rien,
Et au Filz de Dieu s'aloua :
On doit dire du bien le bien.
 
Envoiee de Jhesucrist
Rappeller sa jus par deça
Les povres que Rigueur proscript
Et que Fortune betourna,
Si sçay bien comment y m'en va :
De Dieu, de vous vie je tien.
Benoist celle qui vous porta !
On doit dire du bien le bien.
 
Cy devant Dieu fait congnoissance
Que creature feusse morte,
Ne feust vostre doulce naissance,
En charité puissant et forte,
Qui ressusite et reconforte
Ce que Mort avoit prins pour sien.
Vostre presence me conforte :
On doit dire du bien le bien.
 
Cy vous rans toute obeÿssance,
Ad ce faire Raison m'exorte,
De toute ma povre puissance ;
Plus n'est deul qui me desconforte
N'aultre ennuy de quelconque sorte,
Vostre je suis et non plus mien.
Ad ce Droit et Devoir m'enhorte :
On doit dire du bien le bien.
 
O grace et pitié tres immense,
L'entree de paix et la porte,
Some de benigne clemence
Qui noz faultes toust et supporte,
Se de vous louer me deporte,
Ingrat suis, et je le maintien,
Dont en ce refrain me transporte :
On doit dire du bien le bien.
 
Princesse, ce loz je vous porte
Que sans vous je ne feusse rien ;
A vous et a tous m'en rapporte :
On doit dire du bien le bien.
VII
Euvre de Dieu digne, louee
Autant que nulle creature,
De tous biens et vertus douee,
- Tant d'esperit, que de nature
Que de ceulx qu'on dit d'adventure -
Plus que rubis noble ou balais ;
Selon de Caton l'escripture,
Patrem insequitur proles.
VIII
Port asseuré, maintient rassiz
Plus que ne peut nature humaine,
Et eussiez des ans trente six ;
Enfance en rien ne vous demaine.
Que jour ne le die et sepmaine,
Je ne sçay qui le me deffant.
Ad ce propoz ung dit ramaine :
De saige mere saine enfant.
IX
Dont resume ce que j'ay dit :
Noua progenies celo,
Car c'est du poete le dit,
Jamjam demittitur alto .
Saige Cassandre, bele Echo,
Digne Judith, caste Lucresse,
Je vous cognois, noble Dido,
A ma seule dame et maitresse.
X
En priant Dieu, digne pucelle,
Qu'i vous doint longue et bonne vie,
- Qui vous ayme, ma damoiselle,
Ja ne coure sur luy envie ! -
Entiere dame et assouvie,
J'espoir de vous servir ainçoys,
Certes, se Dieu plaist, que devie
Vostre povre escolier Françoys.

Epître à ses amis

Aiez pictié, aiez pictié de moy,
A tout le moins, s'i vous plaist, mes amis !
En fosse giz, non pas soubz houz ne may,
En cest exil ouquel je suis transmis
Par Fortune, comme Dieu l'a permis.
Filles amans jeunes gens et nouveaulx,
Danceurs, saulteurs faisans les piez de veaux,
Vifz comme dars, aguz comme aguillon,
Goussiers tintans clers comme gascaveaux,
Le lesserez la, le povre Villon ?

Chantres chantans a plaisance, sans loy,
Galans, rians, plaisans en faiz et diz,
Courenx alans, franc de faulx or, d'aloy,
Gens d'esperit, ung petit estourdiz,
Trop demourez, car il meurt entandiz.
Faiseurs de laiz, de motés et de rondeaux,
Quant mort sera, vous lui ferez chaudeaux !
Ou gist, il n'entre escler ne tourbillon ;
De murs espoix on lui a fait bandeaux.
Le lesserez la, le povre Villon ?

Venez le voir en ce piteux arroy,
Nobles hommes, francs de quars et de dix,
Qui ne tenez d'empereur ne de roy,
Mais seulement de Dieu de Paradiz ;
Jeuner lui fault dimenches et merdiz,
Dont les dens a plus longues que ratteaux ;
Aprés pain sec, non pas aprés gasteaux,
En ses boyaulx verse eaue a gros bouillon,
Bas en terre - table n'a ne tresteaux -.
Le lesserez la, le povre Villon ?

Princes nommez, ancïens, jouvenciaulx,
Impertez moy graces et royaulx seaulx
Et me montez en quelque corbillon.
Ainsi le font, l'un a l'autre, pourceaux,
Car ou l'un brait, ilz fuyent a monceaux.
Le lesserez la, le povre Villon ?

Requête à Monseigneur de Bourbon

Le mien seigneur et prince redoubté,
Floron de lis, roialle geniture,
Françoy Villon, que Tavail a dompté3
A coups orbes, a force de batture,
Vous supplie par cest humble escripture
Que luy faciez quelque gracïeux prest.
De s'obliger en toutes cours est prest,
Se doubte avés que bien ne vous contante :
Sans y avoir dommage n'interest,
Vous n'y perdrés seulement que l'attente.

De prince n'a ung denier empruncté,
Fors de vous seul, vostre humble creature.
De six escuz que luy avés presté,
Lesquelx il mist pieça en nourriture,
Tout se paiera ensemble, c'est droiture;
Mais ce sera legierement et prest,
Car se de glan rencontre en la forest
Dentour Pactay et chastaignes ont vente,
Paié vous tient sans delay ni arrest :
Vous n'y perdrés seulement que l'attente.

Se je pouoie vendre de ma santé
A ung Lombart, usurier par nature,
Fault d'argent m'a si fort enchanté
Que j'en prendroie, ce croy bien, l'avanture.
Argent ne pend a gipon n'a saincture.
Biau Sire Dieux ! je m'esbais que c'est,
Car devant moy croix ne se comparest,
Sinon de bois ou pierre, que ne mente ;
Mais s'une foiz la vraye s'apparest,
Vous n'y perdrés seulement que l'attente.

Prince du lis, qui a tout bien complest,
Que pansés vous comment il me deplaist,
Quant je ne puis venir a mon entente !
Bien m'entendez, aydés moy, s'il vous plaist,
Vous n'y perdrés seulement que l'attente.

     Au doiz de la letre :
Allés, letres, faictes ung sault,
Quoyque n'aiez ne piés ne langue,
Remonstrez en vostre harangue
Que faulte d'argent si m'assault.

Le Débat du Coeur et du Corps de Villon

Qu'est ce que j'oy ? - Ce suis je. - Qui ? - Ton cueur,
Qui ne tient mais qu'a ung petit filet.
Force n'ay plus, substance ne liqueur,
Quant je te voy retrait ainsi seulet,
Com povre chien tapi en reculet.
- Pour quoy est ce ? - Par ta folle plaisance.
- Que t'en chault il ? - J'en ay la deplaisance.
- Laisse m'en paix ! - Pour quoy ? - G'y penseray.
- Quant sera ce ? - Quant seray hors d'enfance.
- Plus ne t'en dis. - Et je m'en passeray.

- Que penses tu ? - Estre homme de valeur.
- Tu as trente ans ! - C'est l'aage d'un mulet.
- Est ce enfance ? - Nennil. - C'est donc folleur
Qui te sasist ? - Par ou ? Par le collet ?
- Rien ne congnois. - Si faiz. - Quoy ? - Mousche en lait:
L'ung est blanc, l'autre noir. C'est distance.
- Est ce donc tout ? - Que veulx tu que je tence ?
Se n'est assez, je recommenceray.
- Tu es perdu ! - G'y mettray resistance.
- Plus ne t'en dis. - Et je m'en passeray.

- J'en ay le dueil, toy le mal et douleur.
Se feusse ung povre ydiot et folet,
Encore eusses de t'excuser couleur ;
Si n'as tu soing. Tout t'est ung, bel ou lait.
Ou la teste as plus dure q'un jalet,
Ou mieulx te plaist qu'onneur ceste meschance :
Que respondras a ceste consequence ?
- J'en seray hors quant je trepasseray.
- Dieu ! Quel confort ! Quelle sage eloquence !
Plus ne t'en dis. - Et je m'en passeray.

- Dont vient ce mal ? - Il vient de mon mal eur :
Quant Saturne me fist mon fardelet,
Ses motz y mist, je le croy. - C'est foleur :
Son seigneur es, et te tiens son varlet !
Voy que Salmon escript en son rolet :
« L'homme sage, ce dit il, a puissance
Sur planetes et sur leur influence.»
- Je n'en croy riens : tel qu'il m'ont fait seray.
- Que dis tu dea ? - Certes, c'est ma creance.
- Plus ne t'en dis. - Et je m'en passeray.

- Veulx tu vivre ? - Dieu m'en doint la puissance !
- Il te fault. - Quoy ? - Remors de conscïence,
Lire sans fin. - En quoy ? - Lire en scïence,
Laisser les folz. - Bien j'y adviseray.
- Or le retien ! - J'en ay bien souvenance.
- N'attens pas trop, qu'il ne tiengne a plaisance !
Plus ne t'en dis. - Et je m'en passeray.

Problème [Ballade de la Fortune]

Fortune fuz par cleirs jadiz nommee,
Que toy, Françoys, crye et nomme murtriere,
Qui n'est homme d'aucune renomee.
Meilleur que toy faiz user en plastriere,
Par povreté, et fouyr en carriere :
S'a honte viz, te dois tu doncques plaindre ?
Tu n'es pas seul ; si ne te dois complaindre ;
Regarde et voy, de mes fais de jadiz,
Mains vaillans homs par moy mors et roiddiz,
Et n'es, ce sais, envers eulx ung soullon.
Appaise toy et mect fin en tes diz,
Par mon conseil prens tout en gre, Villon !

Contre grans roys me suis bien anymee
Le temps qui est passé ça en arriere :
Priame occis et toute son armee,
Ne lui valut tour, donjon ne barriere.
Et Hannibal demoura il derriere ?
En Cartaige par Mort le feiz actaindre,
Et Scypïon l'Affrequain feiz estaindre.
Julius Cesar au Senat je vendiz.
En Egipte Pompee je perdiz,
En mer noyay Jazon en ung bouillon
Et une foys Romme et Rommains ardiz.
Par mon conseil prens tout en gre, Villon !

Alixandre, qui tant fist de hemee,
Qui voulut veoir l'estoille poucyniere,
Sa personne par moy fut envelimee.
Alphasar roy en champ sur sa baniere
Ruay jus mort. Cela est ma maniere :
Ainsi l'ay fait, ainsi le maintendray,
Autre cause ne raison n'en rendray.
Holofernés l'idolastre mauldiz,
Qu'occist Judic - et dormoit entandiz -
De son poignart dedens son pavillon.
Absallon, quoy ? en fuyant le pendis.
Par mon conseil prens tout en gre, Villon !

Pour ce, Françoy, escoute que te dis :
Se riens peusse sans Dieu de Paradiz,
A toy n'autre ne demourroit haillon,
Car pour ung mal lors j'en feroye dix.
Par mon conseil prens tout en gre, Villon !

Quatrain

Je suis François, dont il me poise,
Né de Paris emprés Pontoise,
Et de la corde d'une toise
Saura mon col que mon cul poise.

Ballade des pendus (L'Epitaphe Villon)

Frères humains qui après nous vivez
N'ayez les coeurs contre nous endurciz,
Car, ce pitié de nous pauvres avez,
Dieu en aura plus tost de vous merciz.
Vous nous voyez ci, attachés cinq, six
Quant de la chair, que trop avons nourrie,
Elle est piéca devorée et pourrie,
Et nous les os, devenons cendre et pouldre.
De nostre mal personne ne s'en rie:
Mais priez Dieu que tous nous veuille absouldre!

Se frères vous clamons, pas n'en devez
Avoir desdain, quoy que fusmes occiz
Par justice. Toutefois, vous savez
Que tous hommes n'ont pas le sens rassiz;
Excusez nous, puis que sommes transsis,
Envers le filz de la Vierge Marie,
Que sa grâce ne soit pour nous tarie,
Nous préservant de l'infernale fouldre
Nous sommes mors, ame ne nous harie;
Mais priez Dieu que tous nous vueille absouldre!

La pluye nous a débuez et lavez,
Et le soleil desséchez et noirciz:
Pies, corbeaulx nous ont les yeulx cavez
Et arraché la barbe et les sourciz.
Jamais nul temps nous ne sommes assis;
Puis ca, puis là, comme le vent varie,
A son plaisir sans cesser nous charie,
Plus becquetez d'oiseaulx que dez à couldre.
Ne soyez donc de nostre confrarie;
Mais priez Dieu que tous nous vueille absouldre!

Prince Jhésus, qui sur tous a maistrie,
Garde qu'Enfer n'ait de nous seigneurie:
A luy n'avons que faire ne que souldre.
Hommes, icy n'a point de mocquerie;
Mais priez Dieu que tous nous vueille absouldre!

Louenge à la court

Tous mes cinq sens, yeulx, oreilles et bouche,
Le nez et vous, le sensitif, aussi,
Tous mes membres, ou il y a reprouche,
En son endroit ung chacun die ainsi :
«Souvraine Court par qui sommes icy,
Vous nous avez gardé de desconfire ;
Or la langue seule ne peut suffire
A vous rendre suffisantes louenges,
Si parlons tous, fille du souvrain Sire,
Mere des bons et seur des benoitz anges.»

Cueur, fendés vous ou percez d'une broche
Et ne soiez au moins, plus endurcy
Qu'au desert fut la forte bise roche
Dont le peuple des Juifz fut adulcy ;
Fondez lermes et venez a mercy
Com humble cueur qui tendrement souspire ;
Louez la Court conjointe au saint empire,
L'heur des François, le confort des estranges,
Procree lassus au ciel empire,
Mere des bons et seur des benoistz anges.

Et vous, mes dens, chacune si s'escloche,
Saillez avant, rendez toutes mercy
Plus haultement qu'orgue, trompe, ne cloche,
Et de mascher n'ayés ores soussi ;
Considerez que je feusse transi,
Foye, polmon et rate, qui respire ;
Et vous, mon corps, ou vil estes et pire
Qu'ours, ne pourcel qui fait son nic es fanges,
Louez la Court, devant qu'il vous empire,
Mere des bons et seur des benoistz anges.

Prince, trois jours ne vueillez m'escondire
Pour moy pourvoir et aux miens adieu dire ;
Sans eulx argent je n'ay, icy n'aulx changes.
Court triumphant, fiat, sans me desdire,
Mere des bons et seur des benoistz anges.

Question au clerc du guichet
[Ballade de l'appel]

Que dictes vous de mon appel,
Garnier, fis je sens ou folie ?
Toute beste garde sa pel :
Qui la contraint, efforce ou lie,
S'elle peult, elle se deslie.
Quant dont, par plaisir voluntaire
Chanté me fut ceste omelie,
Estoit il lors temps de moy taire ?

Se fusse des hoirs Hue Capel
Qui fut extrait de boucherie,
On ne m'eust parmy ce drapel
Fait boire en cest escorcherie
- Vous entendez bien joncherie -.
Mais quant ceste paine arbitraire
On me juga par tricherie,
Estoit il lors temps de moy taire ?

Cuydiés vous que soubz mon capel
N'eust autant de philosophie
Comme de dire «J'en appel» ?
Si avoit, je vous certifie
- Combien que point trop ne m'y fie -
Quant dit me fut, present notaire,
« Pendu serrés », je vous affie,
Estoit il lors temps de moy taire ?

Prince, se j'eusse eu la pepie,
Pieçà fussë ou est Clotaire :
Aux champs debout comme une espie...
Estoit il lors temps de moy taire ?

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